La Chronique de Salon de Pierre Pelot : Honte bue


Pour le moment, non merci, sans façon.

C’est étrange, mais – non, ça n’a rien d’étrange. J’avais failli écrire, en départ de cette bavarderie : « C’est marrant »… mais ce n’est pas marrant non plus. Ni bizarre, ni curieux, ni rien de tel. Ni même étonnant. Ce serait juste, éventuellement… honteux. Voire un rien nauséabond. Pour ne pas dire carrément puant.

Expliquons-nous. Creusons. Voyons les dessous de l’histoire, ses tenants, ses aboutissants, tourniquons ses rouages. Car histoire il y a. Nous ne pouvons l’ignorer, tant rebattues les oreilles en eûmes-nous.

 

C’est l’histoire d’une dame et d’un monsieur. Une histoire d’amour sans doute, un certain temps, un petit bout de temps, du moins. Tous les jours dans le monde, partout, à part ici ou là dans des endroits pourris où les humains vivent déshumanisés, se vivent pareillement des histoires d’amour entre gens respectables de bon aloi. Partout et tout le temps. Chaque jour, disais-je, mais nous pourrions affiner et dire chaque heure. Qui sait chaque minute. Des histoires d’amour, qui sont la loi du genre, son ordinaire, naissent ou grandissent ou se flétrissent périssent, ou se poursuivent pour demeurer, sous la lampe des soirs d’hiver, en forme de bouquets de fleurs séchées, bouquets quand même vaille que vaille… Ce qui nous fait bon nombre, toutes ces aventures, et chacune, dans ses starting-blocks, la plus belle du monde. Où irions-nous si nous devions nous mettre à les raconter toutes ? À toutes les coucher dans les pages d’un livre ? Non qu’elles ne soient chacune, je le répète, globalement intéressante et digne d’attention, bien sûr qu’elles le sont. Roulant inéluctablement des mêmes mécaniques, enclines aux mêmes mouvements d’horlogeries, entrainées par les mêmes rouages, les mêmes engrenages, comme il en est depuis le premier coup de pédales du monde, le commencement des temps, l’aube de l’humanité, les premiers pas de nos supers-papys homo, les habilis et toute la suite de la bande. Depuis belle lurette, en somme. C’est toujours pareil. Toujours en gros le même scénar. On invente quoi ? Rien, dans les grandes lignes. Vaguement des fioritures, à tout casser. Des notes personnelles. Des notules. On plante ici et là des accents graves et des accents aigus, on met des points sur les i, on corrige quelques fautes de frappe. Et point barre.

De ce fait, pas de quoi en faire des volumes.

 

Sauf que.

Sauf que cette histoire d’amour-là, que nous allons évoquer pour en renifler la honte, n’est pas tout à fait banale et ordinaire et commune et à-la-portée-de-tous-zet-toutes. Ses protagonistes ne sont pas n’importe qui issus de la couche lambdatesque.

Le monsieur est Président. La dame est journaliste. Au moment où ça leur tombe sur le coin de l’hypophyse postérieure et déclenche un emballement mutuel et réciproque de l’ocytocine, le monsieur n’est que monsieur, avec des tas de titres et de fonctions, certes, mais pas cette Présidence avec un « P » majuscule. Pas encore. Pas loin, mais pas tout à fait. Juste au bord. La dame, elle est déjà journaliste. Journaliste politique, dit-on, et puis aussi journaliste littéraire. Elle écrit des critiques, des chroniques, des papiers, parasitant des livres écrits par d’autres. Elle les juge et leur taille le portrait. Elle dit s’ils sont beaux ou laids, si à son avis ils eussent mieux fait d’être autrement, ailleurs, autres qu’ils sont. À son avis, voilà. Son job consiste à donner un avis, le sien, et à l’écrire en quelques milliers de signes, puis être payée pour l’exercice. Il y a des professions plus tartes. Il y en a d’autres, moins honorables. Ou davantage. Au nom de quelle sorte de présomption appuie-t-elle son jugement ? De ses goûts personnels, évidemment, de son aptitude à reconnaître le bien, le bel et bon, et à te vous différencier tout cela du mal et du mauvais et du pas beau pas bon. C’est simple. Et très subjectif. C’est comme ça. Elle n’est pas la seule dans la catégorie.

 

Les voilà qui s’aiment. Et qui assortissent leurs sentiments réciproquement entremêlés de tous les accessoires idoines. Et crac ! Sur le fait, le monsieur devient Président. Monsieur le Président. De la République. Monsieur le Président de la République avec des majuscules dans tous les azimuts aime madame la journaliste, pareille à elle-même, qui devient de la sorte Madame la Première Dame. « Pareille à elle-même », je ne sais pas, ce n’est pas établi, encore que…

 

Une chose est certaine, et de cela j’en suis certain, même si je ne l’ai pas personnellement vécu, c’est que ce n’est pas simple d’être la Première Dame, ou vouloir l’être, ni Président de la République, et les deux dans le même navire. C’est sans nul doute complicaded. Surtout quand l’ego d’une des deux se situe quand même légèrement plus haut que son cul, pour ce qui est de péter, selon l’expression à la fois populaire et très familière (néanmoins attestée dans la langue dés 1640). Bref. Car nous allons la faire brève sur ce plan, vu que nous n’étions pas dans leurs pantoufles. Il arrive un moment, puis des moments, où l’amour donc (ce qui s’appelle ainsi) s’écornifle. L’amour sous les pressions extérieures, autant qu’intérieures, administrées de toutes parts, barre en javel. Se raplaplatisse. Se lamine mauvaise. The end. Clap de fin.

Ainsi va la vie. 

 

Et voilà, cela étant, que la Première Dame qui ne l’Est Plus, ne le sera jamais. Ce qui, on peut le supposer en deux coups de cuiller à pot, lui hurlupe bien les nerfs et lui essore les glandes. Mettons-nous à sa place. La voilà sans statu, ni statue, ni probablement sans pension. Si ? Je ne sais pas. Mais la voilà très amertifiée, ça c’est sûr. Elle reste journaliste, critique de livres en tous genres. Elle sait comment ça marche, c’est son taf. Elle sait ce qui fait vendre un ouvrage littéraire. Attends un peu mon cochon, se dit-elle (en termes plus châtiés ces choses exprimées, peut-être), tu vas t’en souvenir. Et vas-y aussi sec que je te courbe l’échine sur le clavier du Mac, et tap et tap et tap et tap.

 

Et le bouquin, car c’est de cela qu’il s’agit au final, surgit vengeur de sa tombe, telle l’histoire morte-vivante qu’il est. Fantôme. Revenante. Déjà, dans l’absolu, je veux dire le principe, la honte n’est pas loin. « Merci pour ce moment », ça s’appelle. Pas de quoi, Madame. Je vous en prie. Le principe en soi, veux-je donc dire. Évidemment je n’ai pas lu. Mais des fragments me sont obligatoirement tombés sous les yeux, qui m’ont conforté dans le non-désir de lire plus avant ni plus loin. De la littérature de gare ? Même pas. Autre chose, sans doute et en tout cas bien mal ficelée, cette littérature, pour une critique littéraire, merci pour ce non-moment. Mais sur le principe, le principe et la mécanique de l’opération, disais-je, simplement cela : quelle méchante manœuvre, madame. Pour votre honneur ? Ainsi donc évaluez-vous le cours de votre monnaie ? Pouah.

 

De la littérature de caniveau, sans majuscules, de la bouillie pour lecteurs et lectrices de Voici et autres magazines people, voilà le menu. Je parle de la recette. Près de 2 millions d’euros à ce jour. Sans doute plus. Combien, pour en arriver là, de baveurs et baveuses acheteurs ont acheté l’objet d’une lecture masturbatrice pas même honteuse au fond de draps pas même symboliques ?

 

La honte s’installe. Mais ce n’est pas tout, ce n’est pas fini. Qu’apprend-on ? Que les renifleurs de frics s’ébranlent et font surface. Que le livre va être porté au cinéma par l'actrice et productrice Saïda Jawad.

Peut-on le croire ?

Sans doute, de la même manière que l’affaire DSK, bien entendu, fut portée à l’écran sous forme de bouse sans le moindre intérêt, sinon celui de l’absence d’intérêt, par le nauséeux Abel Ferrara, et dont on vanta pour cause de promotion le talent de Gérard résumé à un étalage de bourrelets dénudés dans une scène de fouilles à l’incarcération du prévenu.

Et de se demander qui incarnera à l’écran Madame la Non Première Dame Virée, Mademoiselle la Remplaçante Intérimaire, Monsieur le Président…

Honte bue.

Merci bien.


Pierre Pelot

Peinture © Pierre Pelot

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