La Chronique de Salon de Pierre Pelot : La guerre du castor


Once upon a time, un jeune garçon au fond des bois, en tout cas en lisière, qui avait décidé de raconter des histoires par écrit, et par dessin aussi, et donc accessoirement de vivre en pratiquant cette occupation pour le moins étrange. (Étrange ? Si, quand même…) D’autant plus étrange que le jeune garçon rebelle à toute autre forme d’engagement sur quelque rail social que soit résidait non seulement en lisière de forêt, mais de village aussi, un village de montagne vosgienne, pas bien fourni en habitants, à peine deux milliers, c’est dire. C’est dire, dis-je, que là n’est pas là l’endroit le plus accointé qui soit aux cercles et monde littéraires, lesquels comme chacun sait essentiellement implantés en notre belle capitale, pour ne pas dire tout bêtement parisiens. Bref, néanmoins. À force de travail et de persévérance, sans oublier le soutien indéfectible (et légèrement stupéfiant, au fond) de ses parents respectivement menuisier et ouvrière de tissage, à force de tout cela, le jeune garçon parvint à ses fins, en l’occurrence ses débuts, le début de ses fins, au jour de ses vingt ans, sonnez trompettes et roulez tambours, qui vit l’édition par les Éditions Marabout de son premier roman, un western, s’il vous plaît, et pas de la gnognotte, je m’en souviens encore. Je m’en souviens d’autant plus et mieux que je vais arrêter là de parler du jeune garçon que je ne suis plus, loin de là, ce serait même le contraire, à la troisième personne, c’est un brin bizarre. Le jeune garçon était donc moi. Le roman s’intitulait La Piste du Dakota, et de lui aussi je me souviens comme si c’était hier, et du serrement de cœur en ouvrant le paquet postal contenant mes exemplaires d’auteur, découvrant l’objet, la couverture chaude en oranges et en jaunes et en terre brûlée signée Pierre Joubert… et me souviens, ne riez pas, l’avoir déposé sur ce qui me servait de table de chevet, levé sur la tranche afin de bien le voir, et m’être réveillé plusieurs fois dans la nuit pour lui jeter un coup d’œil et y croire et me dire : « Au moins ça y est, j’en ai fait un ! »

Mais comme je le notais paravant : bref.

 

Pourquoi ceci ? Et même cela ? Parce qu’une occasion fort tempestive s’il en est m’amène céans à replonger dans le passé d’avant-hier. Des gens que je ne doute pas bien intentionnés se sont mis dans la tête de concocter un dossier, pour un magazine, à ma personne consacré. Le dossier. Pas le magazine. « Dossier Pierre Pelot », que ça va s’appeler, suppose-je. Ce qui tombe, à la réflexion, sous le sens. (Un dossier Pierre Perret eût pu également se faire, mais certes sans mon concours. Fermons la parenthèse.) Or pour lequel, on me demande des éclaircissements, des informations, sur telle et telle période du parcours du combattant, et me voilà plongeant dans les rayons de placards, les cartons, les tas et les piles, exhumant à tour de bras. Ça fait un choc. Les courriers échangés, des kilos de papiers… Sauts et bonds dans le temps.

 

Et je retrouve les premières lettres de celle qui réceptionna mon premier manuscrit, aux Editions Marabout. Claire Van Weyenberg. Qui me fait suivre son parcours à travers ses lecteurs… D’une amabilité confondante. Et ensuite, qui fut mon premier vrai éditeur en fait : Philippe Vandooren. Toutes les lettres de Philippe suivant la progression du petit bonhomme que j’étais, conseillant, prenant la peine… Quel éditeur ! Et tout à coup (car j’ai mis du temps à le comprendre, c’était si naturellement complice, chaleureux, impliqué), il vous laisse voir et entendre que c’est cela, un éditeur. Ce qui au fond vous donne une très mauvaise habitude, parce que de tous, des autres, à la suite, les suivants et suivantes, vous allez attendre la même chose, la même chaleur, le même dévouement, le même soutien… et vous apprendrez bien vie que ce n’est pas fatal. Je n’ai retrouvé dans mon parcours à saute-mouton de trop d’éditeurs que bien peu d’équivalence à Philippe Vandooren, à l’exception de Héloïse d’Ormesson et Gilles Cohen-Solal, le bougre, une ou deux autres. Mon fils, du temps où il s’essayait à la bande dessinée, avait adressé son travail à Philippe pour avis. Qui le lui donna, l’avis. Lui répondit. Et le fils en question avait coutume de dire que « Dans une page, il m’en a appris plus sur mon travail que 3 années de cours à l’École de l’Image »…

 

C’était un autre temps. M’y voici en apnée. Presque physiquement en apnée… La respiration éditoriale est devenue bien plus difficile. À moins que ce soit tout bêtement le cheminement de l’âge ? Après avoir décidé, par la force des choses en partie, grandement fatigué par tant d’années et d’éditions, il y a peu ou long, c’est pareil, et avoir décidé de ne plus écrire, mais d’aller cueillir des champignons et de regarder des séries TV américaines, voilà que me reviennent, insidieuses, tyranniques, étouffantes, deux envies de m’y remettre. Deux obligations, presque. Deux grosses idées à traiter et mener à bien, sur le cours restant du trajet. Mais.

Mais…

 

Mais justement, à propos d’éditeur, pour qui ? Car si dans le domaine j’ai appris quelque chose du paysage, c’est qu’ils se sont raréfiés, qu’ils sont en voie de disparition. Des éléphants, des tigres sur le chemin du cimetière. Qui les protège ? Les complices sont morts. Comme dans la trilogie des Snopes de Faulkner, ils sont devenus comme ces personnages balayés et remplacés par d’autres spécimens : les financiers. Les commerciaux. Ceux qui parlent d’abord. Ceux qui bien trop souvent demeurent et contaminent.

Je ne sais pas parler aux financiers. Je n’en ai pas le savoir ni l’envie. Ni surtout l’envie.

Mais, c’est terrible, je m’égare. Je digresse un paquet !

 

Parce qu’en fait ce que je voulais surtout dire c’est qu’en fouillant dans ces tonnes de paperasses quasi fossiles datant du début du chemin de la fin du siècle, j’ai aussi remis le nez dans mon épopée Bande dessinée… Car, oui, au départ, le jeune garçon voulait être Van Gogh, puis Jijé, Morris, etc., et quelques autres. Il prit donc des cours de dessin (Ecole ABC du dessin) et se lança dans l’aventure. Pas moins de quatre histoires de 44 planches, couleurs et tout. Des westerns, avec un personnage qui s’appelait Bob Hart… Du « façon Lucky Luke ». Ces histoires n’ont jamais été publiées. Je les ai retrouvées… sauf une. La dernière. Qui s’intitulait La Guerre du castor.

Parce que voilà : un jour est arrivé Claude Auclair, grand monsieur s’il en est, le temps que cela lui fut donné, de la bande dessinée. Claude est devenu un ami. Il arrivait en compagnie de son agent, un nommé Alain Montagne. Qui quelque temps plus tard fut aussi un peu le mien, demanda que je lui confie cette bande dessinée, parce qu’il avait un coup en vue… au Danemark ! Je la lui ai confiée, couillon que déjà j’étais. Le seul exemplaire. Et bien sûr ne l’ai plus jamais revue, ni mon histoire ni Montagne. Dont la dernière adresse, communiquée par Auclair, était OVER-PRESSE, rue Étienne Marcel…

Je me suis servi du canevas de cette histoire pour en écrire un roman, sous ce titre, un « roman pour la jeunesse ». Mais la BD… Ai-je une chance, sur combien de millions, de jamais la retrouver ? En entier ? En partie ?

D’autant plus qu’il se fait tard, que les verres sont vides et que déjà les fraisiers sauvages fleurissent, ce qui est vachement tôt pour la saison, of course.

 

Pierre Pelot

Peinture © Pierre Pelot

 

> Retrouvez d'autres textes de Pierre Pelot sur son site internet, La tanière.

Aucun commentaire pour ce contenu.