La Chronique de Salon de Pierre Pelot : Cher Éric Rochant, bravo et merci…


Tout à coup, surgissant, un coup de bonheur, un régal.

Un cadeau, en quelque sorte, un de ces vrais cadeaux que peuvent vous faire une personne qui vous aime, ce qui a pour effet réversible d’être un cadeau qu’on va aimer forcément, par juste retour de flammes. On n’y croyait plus. On avait quasiment abandonné tout espoir, qui même s’il est capable de s’acharner, dents serrées, finit par s’affaiblir et se flétrir et mourir, l’espoir, en désespoir de cause. Tant de temps d’attente, pour finalement à bout de force et de patience ne plus s’y attendre. On guettait les marées par habitude, une sorte de rite, pour s’occuper l’ennui, une manière de tradition chevillée à la fringale. On guettait, sœurs Anne et frères Jacques que nous sommes, ne voyons-nous rien venir ?  On ne voyait rien. Rien d’autre et rien de mieux que les menus fretins ordinaires. Habituels – c’est le mot et c’est un mot terrible. Les retours de pêches au tout-venant. Une autre forme d’habitude nous les annonçait comme des récoltes miraculeuses, quasiment, du jouissif. Le mensonge faisait partie de l’attirail du bonimenteur, du langage de la criée.

 

On ramassait sans enthousiasme cette mangeaille qui nous était distribuée. De quoi survivre. On aurait pu, pour les repas, se passer de s’asseoir à la table, qui ne présentait guère de quoi faire ripaille. Il suffisait de s’asseoir sur un quelconque tabouret et de grignoter ces quignons, cette petite friture, qui nous assurait une base de survie.

 

Pas de quoi craindre la surcharge pondérale, les écarts et conséquences d’un régime trop riche, c’est au moins l’avantage. Pas de quoi se goinfrer avec les insipides « Joséphine ange gardien », les voltes et virevoltes d’un homme de fer revisité sur le pouce et customisé en Caïn… les tentatives laborieuses de scénarisation vigoureuses d’Engrenages qui n’échappent pas au grippage, les Hommes de l’Ombre bien convenus du casting au scénar et dont on se fout éperdument du devenir… Les désespérantes descentes aux abysses d’un Braquo d’arrière saison, les Revenants bien mal revenus d’une belle idée de départ… Les hallucinantes niaiseries d’une indécrottable Julie Lescaut, etc. D’avalanches en avalanches, de déceptions en déceptions…

 

On attendait les arrivages d’Outre Atlantique, également d’outre- frontières terrestres, les livraisons venues du Nord… On y trouvait de quoi nourrir nos appétits. Et survivre honorablement.

 

Et puis voilà, c’est arrivé.

Qu’on n’attendait donc plus.

Ça s’appelle Bureau des Légendes.

Le BDL, c’est un département au sein de la DGSE (soit la Direction Générale de la Sécurité Nationale. Depuis ce poste  sont « supervisés » et dirigés, et soutenus, une catégorie hautement importante d’agents-espions des services de renseignement français : les dormants. Les clandestins. Les immergés en pays hostiles qui doivent bien offrir aux yeux de tous une vie sans reproche, une vie apparente qui sera donc leur « légende ». C’est ainsi qu’ils opèrent, dans les ombres des jours, « sous légende » sous fausse identité qui se doit donc d’être plus vraie que nature, c’est la moindre des choses. Leur existence double va se construire des années durant, jusqu’à devenir émergeante le jour où leur service sera demandé, er ordonné par le BDL. Jusqu’à devenir au risque de leur vie  cette vie-là sur le terrain, cette vie de légende.

Leur mission achevée, si elle s’achève, le retour au pays est quasi contraint, obligatoire. Revenir avec ou sans sa légende ? C’est ici que le risque persiste, qu’il s’amplifie sans doute.

Une des fonctions du BDL consiste également de ce fait à repérer les personnes susceptibles de devenir autres, légendes et sources de renseignements.



Éric Rochant a écrit (co-) cette série. Réalisé. Conçu. Il n’a pas travaillé, ce me semble, comme cela se veut ordinairement, en ayant à rendre compte à des « spécialistes », des professionnels de l’écriture tv, des « auteurs de tv ».  Il a fait son job comme il l’entendait. Et le résultat est là. Il y a une grande différence entre écrire une histoire pour l’histoire et écrire une histoire pour des téléspectateurs…

 

Autre exemple de ce que peut illustrer cette différence : Nic Pizzolatto. Nic Pizzolatto est un écrivain. Nic Pizzolatto a écrit la série True Detective.

C’est de ce même tonneau.

Et dans Le Bureau des Légendes, Matthieu Kassovitz, remarquable de justesse et de sobriété pour incarner cet homme de légende de retour au bercail… toujours coincé dans l’engrenage. Jean Pierre Daroussin, Léa Drucker, Sara Giraudeau parfaite en nouvelle recrue fragile, Florence Loiret-Caillé, référante d’agent en place et formatrice de nouveaux…

Il y aura bien sûr une saison 2. Qui nous promet, ricochant sur le cliffhanger de la première, de quoi nous rassasier heureusement.

 

Il m’est venu l’envie, au final du dernier épisode, d’écrire au réalisateur.

Un mail qui aurait commencé par  quelque chose comme « Cher Éric Rochant, bravo et merci… »

Mais je crois que cela faisait, sans doute, un peu tarte. Alors je ne l’ai pas fait.

 

Pierre Pelot

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