La Chronique de Salon de Pierre Pelot : Charles d’Ambrosio, un écrivain hors du commun

Voici un bout d’histoire de ce petit garçon pas vraiment orphelin mais presque – son père devenu fou est interné – qu’on a placé dans un orphelinat catholique et qui un jour rencontre un autre garçon qui lui n’est ni catholique ni orphelin et s’appelle Donald Cheetam, alias Donny, avec qui il devient ami. C’est étrange parce qu’à aucun moment on ne connaît le prénom du petit garçon presque orphelin. C’est lui qui raconte ce bout d’histoire. Il débute comme ceci : À l’orphelinat je me levais tôt, alors que les sœurs dormaient encore, et je partais vers l’épicerie du vieux Chinois.

Le petit garçon commence par se bagarrer avec Donny Cheetam mais tout s’arrange. Le père de Donny, Mr Cheetam, est un Américain sinon riche plutôt aisé. Il emmène les deux garçons dans la montagne. Il voudrait bien que son fils Donny ne soit pas un gros mou. Ils font des choses ensemble. Ils pêchent, ils campent, ils se baignent dans un lac. Le petit garçon invité est témoin de cela c’est peut-être la raison pour laquelle il est invité, précisément… cela s’appelle « Partage des eaux ».

Il y a une autre histoire titrée « Drummond & Fils » qui conte une tranche dans la vie de Drummond, propriétaire d’un magasin de réparation/vente de machines à écrire d’occasion, et de Pete, son grand fils sensé l’aider du fond de l’arrière-boutique. Pete est, pour tout dire, sérieusement « retardé », capable, tranquillement, innocemment, au fil des jours, du pire comme du pire…

Il y a (« Scénariste ») l’incroyable plongée dans le quotidien de cet homme qui se prétend scénariste, au passé professionnel glorieux (est-ce vrai ?), pensionnaire d’un établissement psychiatrique où il serait non pas soigné mais en recherche de documentation, pour un prochain scénar sur le milieu… Cela fait déjà un moment qu’il est là. Un moment qu’il les connaît plus ou moins tous et toutes, les pensionnaires. Dont cette femme que tout le monde appelle « la ballerine », parce qu’elle danse, elle danse, elle danse… mais aussi elle se brûle, les cigarettes, pour elle, servent à cette obsédante automutilation par le feu. C’est d’une ahurissante descente aux enfers tranquilles de la psychose, dans la normalité la plus parfaitement décrite, comme des plus ordinaires, que témoigne ici le narrateur de ce cauchemar qui prend toute sa force dans le fait qu’il n’est même pas présenté comme tel. Ses effets aplanis. Ses horreurs en forme de sourires.

Il y a, « Là-haut vers le nord », cette réunion de famille et d’amis pour un anniversaire qui va tourner à une autre forme de cauchemar assumé, entre les lignes recouvertes de l’existence, planant par habitude profondément ancrée comme le masque du quotidien qu’on ne retirera jamais si l’on veut survivre sans trop de dommage.

Il y a « l’Ordre des Choses » qui n’en est probablement pas un, de ces deux gosses déjà cramés, quêteurs de maison en maison, chapardeurs innocents, truands à la petite journée faute d’un autre apprentissage…

Il y a, dans le « Musée des Poissons Morts » ces quelques jours d’un tournage de film porno vus par quelques techniciens, dont un, Ramage, légèrement décalé, dont les moments de pause sont utilisés trop souvent pour jouer au suicide, jonglant avec ce revolver qu’il trimbale dans sa caisse à outils, et une aventure à peine ratée avec l’actrice principale…

Fenêtres ouvertes sur des existences morcelées, et pour les raconter, les suggérer, nous en dire l’essentiel même si ce n’est pas en gros caractères, un écrivain hors du commun, Monsieur Charles d’Ambrosio.

Pierre Pelot

© Peinture : Pierre Pelot

Charles d’Ambrosio, Le Musée des poissons morts, Coll. « Terres d’Amériques », traduction de France Camus-Pichon, Albin Michel, 2007

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