La chronique de salon de Pierre Pelot : T’as d’BD, tu sais ?

D’abord : Ça s’appelle Journal d’une emmerdeuse - Anita Bomba. C’est par Cromwell (dessin) & Éric Gratien (scénar). C’est aux Éditions Akileos. Et ce n’est pas piqué des vers.

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’Anita Bomba est quand même un peu barge, mais sauvagement sexy dans ses tenues de vagabonde des limbes d’un autre monde. Notre monde, certes, mais dans un autre temps. Un temps d’en-avant. Anita Bomba est une sorte d’anarchiste individualiste forcenée, terriblement douée pour faire sauter les choses et les gens qui lui déplaisent, lui veulent du mal, cherchent à lui nuire. L’enfer c’est les autres, n’est-ce pas ? Anita Bomba et son minois souricier de carnivore féroce, quand elle s’y met, traverse des paysages superbes et désespérants de campagnes marécageuses, de bayous infernaux, de villes d’un autre âge trempées d’un petit côté dickensien, pleines de ruelles sombres et puantes (ça se sent !), d’intérieurs rapiécés de gourbis insalubres, aux murs douteux en danger de chutes, derrière les tentures… Anita Bomba est coiffée d’un chapeau identifiable entre tous, genre anamite mâtiné d’amanite tue-mouches – n’en cherchez pas de semblable pour votre dulcinée. C’est étonnant, le traitement de ces univers-là me fait penser, et ce n’est pas un mince paradoxe, à un décor, parfois, pensé par Calvo. Pourtant dieu sait qu’Anita Bomba sur sa route ne risque guère de croiser Moustache et Trotinette. Les compagnons, si l’on peut dire, de la belle, sont le hirsute Mentor sous son chapeau de paille aussi piquant que sa barbe de porc-épic, un robot baptisé Sig 14 qui devient facilement plus cinglé que nature, un certain La Misère, ancien flic traficoté en super héros d’apparence, des cohortes de petites bestioles piranhas robots à quatre pattes massacreuses à plaisir… Elle se bat contre toutes sortes de vilains empêcheurs d’exploser en rond, notamment une certaine Svetlana de légions rigelienne (quand elle n’est pas alliée) à la recherche d’un pays merveilleux dont une carte (au trésor) signale l’existence. C’est simple.

C’est d’une invention scénaristique hautement revigorante, à l’écriture joyeusement déglinguée qui ne nous laisse pas en paix une seconde, au fil de chapitres cascadeurs, quatre pages chacun, au pas de charge. Quant au dessin de Cromwell… chaque case est une réjouissance. J’oserais dire que c’est du putain de grand art, mine (?) de rien, sous le trait vif et enlevé, une merveille. À un moment, au réveil, Anita est nue. Trois cases et demie. Une merveille aussi. En ces temps où la mode veut que la BD soit objet d’adaptation cinématographie à tout va, on se dit que ce Journal d’une Emmerdeuse… Mais non ! L’adaptation est déjà faite, elle est là, en album, et le film est superbe. En nous sommes ravis que cette emmerdeuse ne nous emmerde pas le moins du monde, tout au contraire : nous ensorcelle.

 

Et puis… Il y a les autres.

Dans les conversations qui flottent et nous encerclent, on entend passer toutes sortes de choses, c’est à dire un peu toujours les mêmes, on participe à la production, on n’est pas des anges non plus. Mon beauf était en vacances en Ardèche, il a ramené un de ces saucissons, mon pote ! Une merveille ! autre chose que tes trucs corses à base de cochon roumain. Ou : T’as vu Angiome, là, l’autre soir, à l’émission de l’autre, à la télé ? Qu’est-ce qu’elle est con !

— Angiome ? pas Angiome, hé, Angot !

— Ah oui ? C’est pareil, c’est quand même une peau de vache… Etc. Des conversations, quoi. Parmi elles :

La Méthode Champion, tu connais ?

— C’est quoi, c’est un régime pour maigrir ?

— Mais non, couillon. C’est une BD.

— Pour maigrir ?

— Non, pour mourir. En gros.

—…

— C’est même deux alboums. Le Tome 1 et le Tome 2. Le Tome 2, le dernier, vient de sortir.

—…

— Champion, c’est un type. C’est son nom. Sébastien Champion. Il a un grand nez. Mais surtout il vient d’apprendre qu’il n’a plus qu’un an à vivre, parce qu’atteint d’un truc incurable, une saloperie. Alors il cherche un moyen de passer cette ultime année correctement. Agréablement, on va dire. Sans trop désespérer, sans se flinguer avant l’échéance. Alors il met le doigt sur des tas de méthodes qui pourraient l’aider à franchir le pas. Genre. Toutes sortes de méthodes. Du positivisme au vaudou le plus exacerbé. C’est plein de petites histoires pour illustrer ça. De chapitres, on dira. Bon, il a quand même une facilité extrême à fréquenter des bargeots. Il a un copain, un seul, qui n’a pas de bras, juste les mains au niveau des épaules, c’est comme ça, il s’appelle Malik. C’est dessiné par Pixel Vengeur. Tu connais ?

—…

— Mais tu connais rien, toi ! Qu’est-ce que tu ferais sans moi ? Pixel Vengeur. Et écrit, on dit scénarisé, par Monsieur le Chien. Et c’est désopilant en diable. Mais pas désopilant-désopilant, tu vois ? C’est drôle, vraiment. Tu vois ?

—… C’est pas pour maigrir, alors ?

PS : Et si je puis me permettre et m’immiscer dans la conversation, Pixel Vengeur a aussi dessiné de main de maître un pastiche, non, pas un pastiche, une suite, carrément, de Gai-Luron made in Gotlib, à la manière dudit que on s’y croirait, et même pire, et là c’est écrit par Fabcaro, et c’est à tomber. Mon épouse qui le lisait dans la salle d’attente du département d’ophtalmologie du CHU de Nancy-Brabois où j’étais en consulte, tandis que m’attendant, s’est beaucoup fait remarquer par la patientèle en attente par ses intempestifs éclats de rires qu’elle n’a pas pour habitude de pratiquer discrètement.

Pierre Pelot

Pixel Vengeur et Monsieur Le Chien, La méthode Champion, tomes 1 & 2, Fluide Glacial Éditeur, août 2017, 48 pages, 10,95 €

Pixel Vengeur et Fabcaro, Les nouvelles aventures de Gai-Luron. « Gai-Luron sent que tout lui échappe », Fluide Glacial Éditeur, septembre 2016, 48 pages, 10,95 €

Cromwell & Éric Gratien, Journal d’une emmerdeuse - Anita Bomba, Éditions Akileos, avril 2017, 164 pages, 54 €

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