Sainte Céramique ou l'histoire du bidet

Actuellement, il n’y a sans doute plus guère que dans quelque sordide lieu de débauche belge ou dans les habitations cossues d’Italie que l’on peut encore apprécier la vue de cet objet séculaire, invite à l’accroupissement incongru, trône de l’hygiène intime, dépositaire des secrets les mieux gardés : le bidet.

L’ouvrage que lui consacrent Julia Csergo et Roger-Henri Guerrand, tous deux à leur façon historiens des pratiques quotidiennes, est un chef-d’œuvre d’érudition, même si le fondement en repose sur un support éminemment trivial.


Bien que l’étymologie du mot désignant cette pièce maîtresse du mobilier sanitaire demeure obscure, on en détecte les premières occurrences dictionnairiques dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ; mais les philosophes en vogue à l’époque, si éclairés fussent-ils, répugnèrent à le mentionner dans leur Encyclopédie. Une identique pudeur s’emparera de certains libertins qui, tel Crébillon fils dans son Sopha, préféreront user de périphrases ou carrément d’astérisques pour le suggérer. Cela n’empêchera pas le bidet de s’imposer dans l’imagier fantasmatique de la littérature pornographique, pour en venir à qualifier, en argot et par le biais d’une savoureuse métaphore équestre, le « membre viril ». Les frères Goncourt le hissèrent à la dimension de l’injure, quand ils se plaisaient à identifier les critiques à des « écrémeurs de bidet de filles osant parler en juges d’un livre ».

Dans une optique plus positiviste, le bidet attirera progressivement l’attention des Académies de Médecine qui y reconnaîtront, au XIXe siècle, un outil indispensable à la salubrité des parties génitales.


Remontant aux clystères, inscrivant le siège bas dans la tradition des ablutions, lui ménageant une place d’honneur parmi la kyrielle des chaises percées, lavabos et cuvettes en tous genres, Csergo et Guerrand confèrent au bidet ses lettres de noblesse. De l’artisanat des ébénistes au design de Phillip Starck, en passant bien sûr par une étude serrée de la production industrielle, ils retracent l’épopée de cet acteur discret et néanmoins crucial du confort et de la santé de la croupe et de sa périphérie. Leur maîtrise conjuguée des documentations de tous ordres (littéraire, scientifique, iconographique, etc.) est à souligner. L’allusion, page 146, aux érotomanes relevant de la catégorie des « renifleurs » en atteste à elle seule.


À parier que si Duchamp avait disposé d’une somme si joliment troussée, il aurait hésité avant de choisir une pissotière pour révolutionner l’art contemporain !


Frédéric SAENEN


Julia CSERGO et Roger-Henri GUERRAND, Le Confident des dames. Le bidet du XIIIe au XXe siècle : histoire d’une intimité, La Découverte/ Poche, 220 pp., 11 €, 2009.

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