Sionisme versus juifs d’Orient : Le sionisme du point de vue de ses victimes juives – Les juifs orientaux en Israël

Ella Shohat est professeur à l’université de New York. Née en Israël de parents irakiens, elle a toujours parlé arabe à la maison et a fini par "fuir" aux USA pour pouvoir mener à bien sa thèse. Car la seule démocratie du Moyen-Orient ne laisse pas la liberté à ses universitaires de débattre du délicat problème des juifs d’Orient. En effet, la doctrine officielle sioniste nie l’égalité entre juifs d’Orient et juifs d’Occident enfermant ainsi la majorité silencieuse d’Israël dans un rôle subalterne en déniant son identité : son arabité.


Cet essai – traduit pour la première fois en français et publié grâce au mérite et au courage d’Éric Hazan – a été écrit il y a plus de vingt ans. Il tente une nouvelle analyse de la question du sionisme et des juifs-arabes par rapport à la Palestine. Il est l’une des pièces maîtresses du dispositif de lutte contre la xénophobie qui touche la classe politique d’Israël car il articule une perspective toujours occultée dans le discours sioniste qui kidnappe l’histoire des juifs-arabes et la transforme en allégorie (l’échange de population) pour justifier la dépossession des Palestiniens.


Tous les efforts menés pour imaginer un avenir de paix dans la région ont toujours considéré comme hors sujet la question des juifs-arabes. Pourquoi ?


Cet essai, trop souvent considéré à tort comme une idéalisation de l’histoire des Juifs dans les pays arabes et musulmans, n’a en réalité qu’un seul but : démystifier l’auto-idéalisation ethnocentrique du récit sioniste, sans glorifier pour autant le nationalisme arabe ni les juifs arabes eux-mêmes, dont certains ont joué un rôle ambigu dans cette histoire mouvementée. C’est pour cela que Ella Shohat poussa le jeu de l’analyse jusqu’à la question judéo-arabe en dépassant le cadre de l’Etat-nation pour s’aventurer dans une histoire transfrontalière, lisible dans le palimpseste des diasporas, et qui se déroule au milieu d’une grande variété de géographies, d’identités, d’idéologies et de discours.


Pour les misrahim (juifs d’Orient), le sionisme a été à bien des titres une vaste supercherie qui a réussi à éradiquer en une ou deux générations une civilisation enracinée depuis plusieurs millénaires en Orient et unifiée dans sa diversité. Ainsi, l’élaboration de l’identité sociopolitique israélienne continue de tirer les misrahim vers le sous-développement. Les voix dissidentes ont été écartées par l’establishment sioniste d’Israël : la sécurité nationale a été érigée comme un véritable culte, la résistance palestinienne a été stigmatisée comme simple action terroriste, les conditions de la discorde entre misrahim et Palestiniens ont été créées de toutes pièces, l’histoire a été réécrite pour présenter le misrahim comme un arabophobe et un fanatique religieux, le système éducatif et les médias ont incité les misrahim à haïr les Arabes et à rejeter leur propre culture.


Tristement – encore – d’actualité vingt ans après, ce livre-choc démontre toute l’ambiguïté qui règne dans les relations entre Juifs et Arabes depuis l’arrivée des sionistes et l’émergence du nationalisme arabe. La question du racisme contre les misrahim à l’intérieur d’Israël reste malheureusement à l’ordre du jour, même s’ils sont mieux représentés à la Knesset. Ce qui est nouveau, c’est qu’après vingt ans de lavage de cerveaux supplémentaires, si Ella Shohat tentait une remise à jour de son travail, elle devrait constater avec amertume que certains misrahim ont intériorisé les attitudes orientalistes et les politiques discriminatoires.

Et l’auteur de nous rappeler qu’en dépit des changements survenus depuis la rédaction de cet essai en 1986, le lecteur doit garder à l’esprit que les structures du pouvoir demeurent et qu’ashkénazes comme misrahim sont emportés dans l’inexorable poussée qui se produit en Israël vers la droite et le militarisme - comme l’a récemment montré le soutien populaire massif à la désastreuse invasion du Liban. 


Comme bien d’autres, elle est convaincue qu’Israël ne peut pas continuer sur ce chemin car c’est celui de l’échec. Le sionisme avait pour but de créer un havre de paix pour les juifs, et l’Etat d’Israël est sans doute aujourd’hui pour eux l’endroit le plus dangereux de la planète (sic). Israël doit donc réfléchir à une nouvelle voie et sortir du discours narcissique de la certitude absolue d’avoir raison et d’appartenir à une civilisation supérieure. Il n’est jamais trop tard pour demander pardon. Comme l’ont dit certains misrahim - et il y avait parmi eux des sionistes convaincus comme le mouvement Tzionut le-Ma’an Shivion, ou Le Sionisme pour l’égalité, dans les années 1970 - la paix ne sera possible sans respect envers "l’Orient" sous toutes ses formes, que ce soient les misrahim, les Palestiniens ou les peuples arabes-musulmans voisins.


François Xavier

 

Ella Shohat, Le sionisme du point de vue de ses victimes juives – Les juifs orientaux en Israël, traduit de l’anglais (USA) par Isabelle Taudière, éditions La Fabrique, octobre 2006, 126 p. – 8,00 €

7 commentaires

anonymous

Il y a longtemps que ce livre édifiant est sorti. 


C'est l'occasion de rappeler que pour les Ashkénazes, les Séfarades qu'ils ont importé dès 1948, c'était comme certains d'entre eux disaient "du matériel humain".  C'est à dire de la chair à canon, des producteurs et des reproducteurs. "

Ce jugement est vrai. Il y a des phrases de Ben Gourion très dures envers les séfarades. Une précision maintenant sur le terme de séfarade, utilisée de manière générale pour désigner les non askhénazes. Il désigne à l'origine les juifs d'Espagne et du Portugal, chassés en 1492 par les rois très catholiques. Ils ont émigré partout où ils le pouvaient: Hollande, Angleterre, bordelais et même à New York et au Brésil. Sur le pourtour méditerranéen, ils se sont fondues dans les populations juives locales qui ont adopté certaines de leurs coutumes (les séfarades bénéficiant d'un prestige culturel important): c'était visible à Constantine par exemple. Pour les communautés d'Orient (Syrie, Irak, Iran, etc...) aux traditions anciennes, le terme est un peu abusif donc.

anonymous

Je propose à François Xavier de venir en Israël, voir sur place s'il y a eu certains changements depuis l'écriture de l'essai d'Ella Shohat il y a maintenant plus de 20 ans. Essayez d'oublier toute idée préconçue et soyez ouvert aux autres conceptions.

Entre autres erreurs que vous faites dans vos deux articles, sachez que l'Ambassade des USA n'a pas été transférée à Jérusalem mais elle est bel et bien à Tel-Aviv. A Jérusalem, il y a un Consulat Général américain comme il y a un Consulat Général français à Jérusalem. Toutes les ambassades sont à Tel-Aviv.

A bon entendeur....

pour ce que j'ai pu en lire sur ce site, a priori ce monsieur Xavier ne se remet jamais en question, inutile de lui payer le billet pour la Terre Sainte...

Merci les amis, je suis déjà allé deux fois en Palestine occupée, heu pardon, Israël ; et j'ai aussi une de mes connaissances qui en revient (il y a trois mois) et, c'est étrange, mais elle n'en est pas du tout ravie, enchantée, enjouée, etc. mais dépitée, stupéfaite, etc. d'avoir pu toucher du doigt l'apartheid et les bantoustans ; comme quoi Israël a été une bonne élève de l'Afrique du Sud de triste mémoire... et bien avant de lire Ella Shohat j'ai rencontré Naïm Kattan à Montréal, en 2001, qui le premier m'a parlé des persécutions subies par sa famille par des groupuscules politiques envoyés d'Israël (pressions psychologiques, morales puis physiques) pour qu'elle émigre d'Irak en Israël, mais comme ils n'étaient pas stupides et se sentaient arabes avant d'être juifs (et en rien sionistes), ils sont partis... au Canada. Israël n'est pas le pays de tous les Juifs mais un État militaire régit par une pensée politique xénophobe, nuance...
Par contre, vous, n'hésitez pas à prendre un aller simple si l'ambiance ici ne vous sied point...

anonymous

Personnellement, j'ai déjà pris mon aller simple il y a plus de 50 ans et je fais partie de la gauche israélienne depuis lors.

Je reconnais le droit des Palestiniens à bâtir leur pays comme l'ONU a reconnu le droit à la minorité juive de tous les pays d'Europe d'avoir aussi une identité nationale dans un foyer national. C'est Israël et cela n'a jamais été une Palestine occupée. Certes il y a des territoires occupés où il faudra bâtir un foyer national palestinien(agrandir ce qui existe déjà à Gaza et en Samarie).

Je vous conseille de reprendre certains cours d'histoire et de sociologie, d'étudier les fondements de l'apartheid et de comparer avec Israël. Je vous promets que vous serez surpris.... si toutefois vous êtes prêt a écouter d'autres conceptions que ces clichés dont vous nous rabattez les oreilles:" xénophobie, Etat militaire, bantoustans.."

J'ai en France, des amis catholiques qui m'ont sauvé, moi et ma famille durant la seconde guerre mondiale mais qui ne m'ont jamais dit, au grand jamais, DE PRENDRE UN ALLER SIMPLE. Je me pose la question...Qui est xénophobe?

Je vous écoute Anonymous (d'ailleurs, pourquoi cet anonymat ?) mais je ne vous entends pas car je sais d'autant mieux ce que je dis que je l'ai vu de mes yeux, donc soit vous ne sortez pas de chez vous soit vous êtes hypocrite... Les routes de contournements, les barrages, vous n'en avez jamais entendu parlé ?
La gauche israélienne ? Quelle blague ! Il n'y a jamais eu autant de colonies que sous les gouvernements de gauche !! Rabin, vous connaissez ?! C'est sous son mandat, et juste après la signature "historique" que la plus grosse vague de tous les temps fut mise en chantier. Faut arrêter avec le concept de "gauche israélienne", cela n'existe pas, vous avez toujours un discours policé mais pas d'actes à côté... J'en reviens à la seule solution désormais possible, celle défendue par Eric Hazan et Eyal Sibvan mais vous allez certainement trouver un argument de poids pour dire que "non ce n'est pas possible"...