Lire et voir les Fables

Ils ne sont pas nombreux les écrivains à captiver la curiosité des enfants et dans le même temps à séduire l’intelligence des adultes. Il faut pour y parvenir une connaissance extrême des ressorts les plus intimes des êtres humains, un sens affiné des mots, le goût des métaphores, un talent de conteur associé à l’art de l’humour. Une virtuosité que La Fontaine possède comme nul autre, ce qui a rendu ses fables universelles et inusables. Son bestiaire est dans toutes les mémoires, les petites leçons de morale qu’il dispense comme en se jouant en ont aidé plus d’un.

Antoine Houdar de la Motte (1672-1731), qui tint à son époque une place reconnue pour sa prose excellente et ses odes, avait écrit en 1719, que la fable est une instruction déguisée sous l’allégorie d’une action. C’est un petit poème épique ; qui ne le cède au grand que par l’étendue, et qui moins contraint dans le choix de ses personnages, peut choisir à son gré dans la nature ce qu’il lui plaît de faire agir et parler pour son dessein ; qui peut même créer des acteurs, s’il lui en faut, c’est-à-dire, personnifier tout ce qu’elle imagine.

En face de notre fabuliste, pour traduire en couleurs et en formes ses mots, il ne fallait rien moins qu’un autre grand nom, un homme qui soit à la fois poète et explorateur de l’âme, artiste inventif et lecteur fidèle. Gustave Moreau s’imposait. Henri de Régner avait noté que chez lui la peinture avait deux natures, l’alliance réussie entre une matérialité intense et un symbolisme psychologique littéraire.

Réunissant trente-cinq fables, certaines parmi les plus célèbres, d’autres sans doute un peu moins lues ou apprises, cet ouvrage résulte de la rencontre parfaite et inattendue entre deux créateurs de chefs d’œuvre, pour lesquels la plume et le pinceau sont des armes au service de l’art pur, de la beauté, de l’imagination, de la sensibilité, nous permettant l’un et l’autre d’accéder à la vérité de nos existences, pour reprendre les mots de Marie-Cécile Forest, directrice du musée Gustave Moreau. En admirant les compositions du peintre, on salue cette aptitude assez incroyable qu’il a de créer des images qui soient des tableaux vivants, traversés ici de mystère et là de bonhommie, qui sait d’instinct voir l’essentiel à retenir de la fable, le traduire en gestes et en mouvements, pointer les défauts et les qualités des personnages et des animaux. Le lion, le renard, le singe, Jupiter, la laitière, le meunier, voilà déroulée devant nous la galerie que La Fontaine a assemblée, titre après titre, pour le plus grand plaisir de tous. Je me sers des animaux pour instruire les hommes disait-il. En voici la double preuve.

Il faut savoir gré à Antoine Roux (1833-1913) d’avoir commandé à Gustave Moreau ces illustrations des fables de La Fontaine, dont on fête cette année le 400ème anniversaire. Il les voulait au départ réservées à sa seule jouissance. Heureusement, les voici proposées au public.Dans la préface, le lecteur aura les explications nécessaires pour suivre l’histoire de ce merveilleux travail. Soixante-quatre aquarelles seront présentées dès la réouverture du musée, une occasion rare de les admirer.
 

Dominique Vergnon

Les Fables de La Fontaine, illustrées par Gustave Moreau, in fine éditions d’art, 35 illustrations, 240 x 300, mars 2021, 96 p.-, 15 euro.

Se renseigner : www.musee-moreau.fr

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