Le Cachemire, département français

Cachemire… Le mot à lui seul fait rêver, renvoyant à la fois à une région du monde où couleurs, senteurs et saveurs se mêlent dans un maelström chaud et pimenté, et à une étoffe d’une qualité incomparable, à l’œil comme au toucher.

 

L’ouvrage que Monique Lévi-Strauss consacre à la production de cachemire en France constitue donc bien une double invitation au voyage. Mais restreindre ainsi le champ de production de ce soyeux tissu, et de surcroît le borner à quelques décennies (en l’occurrence 1800-1880), n’est-ce pas appauvrir un sujet que l’on devine riche ? Loin s’en faut.

 

Après une préface où elle explique l’origine de sa passion pour ce tissu fin et son exploration exhaustive des musées qui en recelaient, Monique Lévi-Strauss revient sur l’histoire d’un élément vestimentaire essentiel à l’élégance du beau sexe dès la fin du XVIIIe siècle : le châle.

 

Si ce sont les Britanniques qui les premiers s’engouèrent pour le châle, les Français lui donnèrent ses lettres de noblesse et l’introduisirent parmi les attributs de luxe obligés des garde-robes aristocratiques. Au contraire des modes et des régimes politiques, il se maintint à travers les décennies. Même si ses méthodes de production évoluèrent considérablement (pour le démocratiser) et que ses motifs se diversifièrent (pour le dégager de sa marque originellement orientale et le labelliser produit français), le cachemire couvrit les épaules des dames de la haute pendant tout le XIXe siècle.

 

Combien de peintres en ont, ainsi, délicatement couvert leurs modèles, d’Ingres à Stevens ? Le châle, objet de négoce acharné et de convoitise, devint même un motif littéraire et l’enjeu d’âpres discussions entre mercanti et cliente de papier, chez Balzac ou encore dans le théâtre de Labiche. Il fut aussi au cœur de la florissante industrie du tissage, première concrétisation de la révolution industrielle sur le Vieux Continent, et Monique Lévi-Strauss n’a pas rechigné à se faire historienne de cet aspect, par exemple pour pénétrer dans les ateliers de fabrication aux côtés de Frédéric Le Play quand il dépeignait notamment le travail pénible des enfants. Lexicographe, elle définit chacun des termes décrivant les étapes de la fabrication, les techniques et les gestes des tisserands. Topographe, elle recense l’essentiel des grands ateliers parisiens, situés entre la Place des Victoires et la rue Poissonnière, puis nous présente, dans la seconde partie de son travail, la galerie des grands artistes en la matière que furent les Couder, Ternaux et autres Gaussen…

 

Faut-il préciser que cet ouvrage, avant d’être un régal pour l’esprit par son érudition raffinée, est un enchantement pour les yeux ? Les cachemires les plus rares s’y étalent dans la splendeur de leurs coloris, parfois sur de somptueuses doubles pages. Un livre qu’on ne se lassera pas de caresser.

 

Samia Hammami

 

Monique Lévi-Strauss, Cachemires. La création française. 1800-1880, Éditions La Martinière, septembre 2012, 320 pages, 75 €

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