Voyager dans l’art des vignobles

Les alignements des plants de Ridge Vineyards sur un tertre de Californie, un étonnant stock de porto dans le chai portugais de Dirk Niepoort, les belles bouteilles de pinot noir néo-zélandais Alta Rangi, les sombres couloirs de tuf où s’alignent les barriques du tokaji hongrois Szepsy, les sillons réguliers tracés par Marie-Thérèse Chappaz dans une combe du Valais, les grappes somptueuses de Bepi, le magicien de Valpolicella, les harmonies entre arbres fruitiers et jardins fleuris du Clos Florentin dans la vallée du Rhône, autant de noms et de lieux à découvrir parmi les vingt six élus reliés par une unique passion, le vin.

Répartis des plaines de Vénétie aux lointains terroirs de la Nouvelle-Zélande, des bords de la Moselle aux sols de la région de Sancerre, du cœur du Médoc aux collines d’Adelaïde en Australie, ces vignerons parlent des langues différentes mais dans leur vocabulaire, le mot est commun, universel. On pense au mot d’Ernest Hemingway qui estimait que le vin est ce qu’il y a de plus civilisé au monde.
C’est là leur première et dernière dévotion, qui implique connaissances, recherches, travaux incessants, combats contre l’incertain des récoltes, quand le succès est d’abord le résultat de beaucoup d’exigences, et une conscience écologique permanente.

Ce partage collectif de la vigne donne à tous la latitude de donner libre cours à leur manière de l’ennoblir encore. Sur son territoire, chacun est maître de ses méthodes, de ses choix, de ses secrets, même s’il y a des règles édictées depuis toujours par une science immémoriale. Il faut s’adapter à un territoire, en comprendre les éléments, observer les climats, obéir à la nature pour mieux en tirer ce qui est pour eux davantage qu’une boisson, un rêve, la ferveur de leur existence, une volonté d’excellence. Chacun est donc maître de son domaine, règne sur ses arpents et en fin de compte, devient un véritable artiste. Conquête pour l’un, héritage pour un autre, transmission chez un troisième, les personnalités se révèlent, déroulent les histoires propres au terme desquelles il y a un millésime, un nom qui va correspondre à des arômes, une puissance en bouche, une noblesse des tanins, une couleur particulière. Autant de qualités que de talents, et partout procédés qui ouvrent des horizons nouveaux selon les pays sur une perception rigoureuse mais adaptée au local, dés lors qu’il s’agit de fruit, d’acidité, de cépages, de vinification, de fermentation, d’assemblage…

Un trait frappe à la lecture de ces instants de vie que les pages de cet ouvrage retracent avec brio, la notion de lutte, de combat pour s’imposer et croire en des valeurs, de composition avec les aléas nombreux qui doivent être acceptés et détournés, dans le seul but de parvenir à ce point de mystique qui rattache entre eux tous ces paysans accrochés à leur terre. Un grand réconfort à l’heure où le monde souffre et se fissure sous les assauts de la bêtise, de la peur et de l’arrogance ainsi que l’écrit dans sa préface Orianne Nouailhac. Vingt-six portraits d’un métier qui fait se rejoindre art et savoir, pour capturer la plus élaborée des essences, qui associe le temps sans lequel rien ne peut se faire et un point précis, devenant une sorte de périmètre privé où visages, mains, outils, sont dans un lien rare avec des racines qui donnent vie et joie. 

Dominique Vergnon

Jeremy Cukierman et Leif Carlsson, Vignerons essentiels, entre tradition et innovation, 270x210 mm, nombreuses illustrations, éditions La Martinière, décembre 2019, 400 p.-, 65 euros

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