Le goût du désamour, de Delphine Solère

Chroniquer un livre érotique devient difficile, tant le récent ramdam sur le genre finit par donner une image de bouillie fade du soufre et de l’intime qui finalement se porteraient peut-être pas plus mal tenus au secret.
Mais il existe au-delà du cliché de la petite fleur naïve qui éclot sous la main mise du prince charmant pervers, une toute autre littérature de l’éros qui souvent ne bénéficie d’aucune visibilité et j’aimerais bien que Le goût du désamour de Delphine Solère ne restât pas une lecture confidentielle parce qu’il mérite bien le devant de la scène.
En tous cas, les femmes y trouveraient du meilleur grain à moudre pour leur épanouissement que dans les têtes de gondoles actuelles.
Juste paru et édité à La Musardine, ce texte inattendu est la première publication de Delphine Solère (qui écrit sous pseudo, et, mais est-ce mon imagination… j’ai cherché à reconnaître ici ou là des personnages existants…). Le goût du désamour est à mes yeux un livre majeur, une réplique du XXIe siècle à Histoire d’O qui du coup semble presque poussiéreux, un vrai retour de balle slicé. Et je précise que ce billet n’est pas du copinage, je n’ai aucun intérêt à La Musardine, mes propres livres paraissant ailleurs.
Ce n’est donc pas un simple roman érotique même si le ton est explicite et souvent très chaud. Je ne regarderai plus jamais La Maison de Victor Hugo de la même façon en me baladant place des Vosges mais j' épierai les ombres de VIP qui y rodent…. et je ne mangerai plus d'huîtres sans penser à Delphine.
Ce n’est pas non plus une romance. Et hélas, sa quatrième de couverture le suggère presque en parlant de l’histoire olé olé d’une bourgeoise qui va se délurer, c’est dommage parce que ce résumé ne reflète absolument pas la qualité de l’écriture directe, réaliste et surtout la force du propos, son audace.
Le propos est donc celui d’une femme qui ose dire et faire, en assumant ses « mauvais » sentiments et ses contradictions. La rébellion de cette femme passe d’abord par une prise de conscience, une introspection et enfin s’exprime par la volonté immédiate de changer les choses en assumant tout, absolument tout.
Ce ne sont pas les scènes de sexe qui comptent le plus (on n’invente rien en la matière) mais la façon dont Delphine (c’est le nom de la narratrice aussi) explique ce qui l’anime, sa façon d’aller vers la liberté en acceptant de n’être que ce qu’elle est , et non pas ce qu’elle devrait être.
Elle ne veut plus se laisser formater par des diktats machistes, ni féministes d’ailleurs, elle cherche son propre chemin en expérimentant et en ne voulant pas choisir entre le bien et le mal.
La base de l’histoire est banale. La narratrice a tout de la bourgeoise friquée, une potiche qui s’ennuie à mourir et s’étiole dans sa cage dorée, lorsqu’une simple œillade la réveille et déclenche en elle l’envie de prendre le large. Elle veut divorcer, c’est impérieux, sa décision est prise en regardant son mari nager dans leur belle piscine, et il est vrai que les femmes sont capables de décider cela en une seconde parce qu’elles ont déjà en elles la longue maturation de l’inconscient projet.
Alors qu’il arrive près du bord, elle annonce à son mari vieillissant sa décision et quelques minutes après le regarde se noyer sans lever le petit doigt. Cela règle peut-être définitivement le problème de sa liberté mais cette non-assistance à personne en danger est peut-être aussi un reçu pour solde de tout compte. Bien sûr, il lui faudra composer avec les doutes de la police sur les circonstances de ce décès qu'elle fait passer pour un malaise en son absence.
Delphine Solère narre au scalpel la métamorphose de la narratrice qui se fait initier aux joies du sexe par deux amies et un amant aux belles fesses. Dans les scènes de sexe, elle ne minaude pas mais elle sait pourtant dire ses hésitations, ses craintes. Le fait que ce soit des femmes qui l’accompagnent sur le chemin de l’épanouissement n’est pas anodin bien sûr, et il y a de la joie, beaucoup de joie, du vrai désir, du plaisir. Delphine découvre ce que son corps sait dire, sait donner et recevoir, elle ne cherche pas à avilir les hommes pour se venger, non, elle veut juste exister et elle revendique la recherche du plaisir sans justification sentimentale. Oui, les femmes peuvent faire cela aussi. Et d’ailleurs à ce propos, j’insiste, c’est bien là que réside le courage de l’auteur, elle ne permet pas de supposer que la femme doit nécessairement aimer pour jouir, ni que si elle baise par simple plaisir c’est parce son côté masculin prend le dessus…non, elle affirme qu’une femme a autant goût de la chair que l’homme et que le tout le reste est culturel et moraliste. La femme-amour est tellement ancrée dans les esprits que Éric Reinhardt en convient même, inconsciemment, à propos de son audacieux Système Victoria, il confie pour les Inrock au sujet de Victoria : [… alors que Victoria se montre très masculine, notamment dans l’affirmation de son désir et de sa sexualité dévorante… ] Et bien non ! Ce n’est pas un caractère masculin !
Alors pourquoi ce si joli titre, Le goût du désamour ? Parce que Delphine ne cesse de remettre en question ses sentiments, il y a dans toute cette jubilation à prendre du plaisir, à désirer, une pointe de mélancolie, cette mélancolie qui n’exclut pas la joie, sans doute une lucidité, cette blessure si rapprochée du soleil comme dit René Char. Delphine baise, beaucoup. Mais Delphine tombe amoureuse aussi. Un homme différent, qui l’accepte comme elle est : libre. Elle essaie de renoncer à la chair riante par amour de lui, elle veut y croire, elle en a envie de ne se donner qu’à lui, quand même, oui…mais là encore, Delphine ne cherche pas de faux fuyant confortable. Elle assume ce qu’elle est.
Chapeau Delphine Solère !
Anne Bert
Delphine Solère, Le goût du désamour, édition La Musardine, novembre 2013, 238 pages, 16 € - Existe en format Kindle.
2 commentaires
Je viens de lire le roman de Delphine Solère, je l'ai lu d'une traite, et je l'ai beaucoup moi aussi !
Super de clasher Reinhardt au passage ! Décidemment le Système Victoria n'a pas fini de faire couler d'encre !