Annick Geille est écrivain, critique littéraire et journaliste. Elle rédige une rubrique mensuelle pour le journal Service Littéraire et dirige la Sélection en ligne du Salon littéraire. Elle vient de publier son onzième roman, Rien que la mer, aux éditions La Grande Ourse.

Edward Hopper au Grand Palais : l'exposition qui fera date !

L’exposition Edward Hopper au Grand Palais à Paris (du 10 octobre au 28 janvier) est un évènement majeur.


Pourquoi et comment ce succès, en dix raisons.


1 - Un triomphe

« Débuts fulgurants : plus de 5 500 visiteurs par jour » titrait le Parisien. Deux heures-trente d’attente  en moyenne. Le Dimanche, trois. Les lecteurs du Salon Littéraire ont préféré tenter leur chance le soir, entre 20 et 22 h : peu ou pas d’attente. Et l’affluence va croissant, si bien que cette rétrospective Hopper – la première en France –parfaitement conçue et organisée par Didier Ottinger, risque de battre les records Picasso et Manet…


Edward Hopper, Chop suey, 1929, Huile sur toile, 81.3 x 96.5 cm, Collection de Barney A. Ebsworth, © Collection particulière



2 - Premier contact

On sent tout de suite l’exposition qui fera date.Trois époques : les années de formation (Hopper entre en 1900 à la « New-York School of Art » dans l’atelier de Robert Henri, artiste qui « a joué un rôle fondamental » dans l’histoire de l’art moderne américain). Seconde époque, les séjours de Hopper à Paris (de 1906 à 1910), avec les rencontres et/ou enseignements d’artistes européens. Hopper approfondit sa connaissance de Courbet et Degas. Il est  viscéralement francophile, ce que les parisiens ressentent avec émotion.Troisième époque : Hopper illustrateur  de presse (jusqu’en 1925).


Edward Hopper, Room in New York, 1932. Huile sur toile, 74,4 x 93 cm, Sheldon Museum of Art, University of Nebraska – Lincoln, UNL-F.M. Hall Collection, © Sheldon Museum of Art


 

3 - Le traitement

Ultra pédagogique. Scénographie parfaite, calquant ses effets sur l’évolution de Hopper vers l’ascétisme et un dépouillement « lumineux ». Pas de salles, mais des « espaces » de plus en plus vastes. Bonnes idées : exposer parmi celles de Hopper les oeuvres d’artistes l’ayant influencé. Mettre sa peinture en perspective dans le contexte pictural de l’époque (Europe /Amérique). Enfin, l’accrochage permet de comprendre l’évolution de Hopper vers un  réalisme métaphysique.

 

4 - Quelques titres

Chop Suey (1929)

Room in New York (1932)

House at dusk (1935)

Office at night (1940)

Morning Sun (1952)

People in the sun (1966)

Two comedians (1966)

Pourquoi Hopper figure-t-il en couverture de tant de livres des deux côtés de l’Atlantique ? De même qu’il il est des «  écrivains pour écrivains », il est des peintres  pour écrivains. Hopper est l’un d’entre eux. On notera que ses tableaux les plus « littéraires » sont titrés à tel ou tel moment précis du jour ou de la nuit. Morning sun, Office at night, etc.


Edward Hopper, Office at night, 1940, Huile sur toile, 56.4 x 63.8 cm, Collection Walker Art Center, Minneapolis; Gift of the T. B. Walker Foundation, Gilbert M. Walker Fund, 1948, © Walker Art Center, Minneapolis



5 - Le pitch

Hopper peint l’Amérique avec un œil européen. D’où l’étrangeté distanciée de ses toiles. Il voit ce qui cloche dans le matérialisme « obtus » de ses contemporains. Il ressent cette déshumanisation croissante. Modernité, solitudes. La plupart des œuvres de Hopper saisissent des « instants » d’hommes et de femmes pris au piège de l’époque. Son obsession ? Le sens. D’où son désir de saisir la lumière, qui s’oppose à la trivialité.

 

6 - L’auteur

Peintre réaliste d’une nouvelle figuration, Hopper en s’affirmant «peintre français » évoque cette tradition qui, de l’impressionnisme en passant par le fauvisme, jusqu’au post-impressionnisme, est « un art de la sensation  et de la lumière ».

 

Edward Hopper, Morning Sun, 1952, Huile sur toile, 71,4 x 101,9 cm, Columbus Museum of Art, Ohio : Howald Fund Purchase, 1954.031, © Columbus Museum of Art, Ohio



7 - Le meilleur

De l’atelier de Robert Henri à New York aux séjours parisiens de Hopper, en passant par son travail d’illustrateur, ses premiers sujets américains, la gravure (qui « cristallisa » son art) jusqu’à la (remarquable) démonstration des influences conjointes  des photographes Mathew Brady et d’Eugène Atget, sans oublier le département des aquarelles.

 

8 - Une citation

John Updike dans Un simple regard, Essais sur l’art (Horay) : « Lorsque le visiteur du musée Whitney descend d’un étage pour voir les un ou deux Hopper des collections permanentes, il comprend ce qui lui manquait : une émotion sous-jacente,  due à cette profonde familiarité qui métamorphose un paysage et ses habitants en un vocabulaire, un ensemble de symboles silencieux que l’on partage sans effort. »


Edward Hopper, Morning Sun, 1952, Huile sur toile, 71,4 x 101,9 cm, Columbus Museum of Art, Ohio : Howald Fund Purchase, 1954.031, © Columbus Museum of Art, Ohio



9 - Dernière œuvre

Two Comedians approfondit la mélancolie des chefs-d’œuvre de la maturité. Lloyd Goodrich rapporte qu’il s’agissait bien d’un double portrait : celui de Hopper et de son épouse, Jo. « Depuis la scène, symbole du tableau dans lequel Hopper a enfermé le monde, les deux artistes saluent une dernière fois leur public » : extrait du catalogue de l’exposition Le réalisme transcendantal d’Edward Hopper, par Didier Ottinger, commissaire de l’exposition.

 

10 - Impressions après visite

Choc émotif et culturel.On ressent les êtres et les façades des immeubles comme s’il s’agissait de tableaux « à la Hopper ». On voit tout, mieux.

 

10 bis - Conclusion

Hopper fait le chemin inverse de certains auteurs qui, avec le succès, deviennent autoritaires et cassants. Un peu cassant lorsqu’il étudie l’art à la « New-York School of Art », le petit gars de Newack se fait de plus en plus timide, et de moins en moins sûr de lui. Lui aussi travaille pour la presse. Mais avant, il a beaucoup admiré. Renoir, Degas. Plus son regard s’aiguise, moins il sait. Au fur et à mesure des salles, Hopper devient de plus en plus jeune, de plus en plus dubitatif. Il entre dans le tableau pour incarner un personnage de Hopper, secret et solitaire. Son truc, c’est le contre-courant. La résistance. Il garde farouchement son côté figuratif, alors que l’abstraction domine partout. Il devient de plus en plus mystérieux, malgré cette figuration. Hopper, au fond, quand on regarde bien, c’est la victoire du mythe sur l’anecdote. Avec comme obsession, la lumière.D’où son côté peintre métaphysique. Hopper finit son parcours en oubliant les personnages, la narration, pour ne plus peindre que le mystère : cette lumière. Le sens, ou l’absence de sens ? Il donne à voir une pièce pleine de vide. Chef-d’œuvre sans rien ni personne,  si ce n’est le peintre et son modèle : la lumière. Elle et lui, enfin seuls. C’est l’un des ultimes tableaux de Hopper. Un petit néant sans néon, le rayon de la fin.

 

Annick Geille

 


Edward Hopper jusqu’au 28 janvier 2013 au Grand Palais, Champs-Élysées, Paris 75008


Du 10 octobre 2012 au 28 janvier 2013, tous les jours sauf le mardi de 10 h à 22 h (dimanche et lundi jusqu'à 20 h). 
Pendant les vacances scolaires (du 27 octobre au 10 novembre 2012 et du 22 décembre 2012 au 5 janvier 2013 inclus) tous les jours de 10 h à 22  h, y compris le mardi. 
Fermeture le 25 décembre. 
Fermeture exceptionnelle à 20 h le 25 octobre 2012, à 18 h les 24 et 31 décembre.


Réservations : www.rmngp.fr


[Note de la rédaction : ce texte a été rédigé par Annick Geille voici plusieurs semaines. Sa mise en ligne a été retardé par la création du nouveau graphisme du site]

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