Annick Geille est écrivain, critique littéraire et journaliste. Elle rédige une rubrique mensuelle pour le journal Service Littéraire et dirige la Sélection en ligne du Salon littéraire. Elle vient de publier son onzième roman, Rien que la mer, aux éditions La Grande Ourse.

5 livres toujours d’actualité ce printemps 2013

À côté des ouvrages sélectionnés, voici cinq romans essais ou biographies qui procurent eux aussi, chacun à leur manière, un vrai plaisir de lecture.


Alain Rémond, Tout ce qui reste de nos vies

Première phrase > Il pleuvait comme si c’était la fin du monde, une pluie longue, épaisse, interminable.

 

Dernière phrase > Et voici ce que me dit Jacob : pense aux morts, mais occupe-toi des vivants.

 

Quatrième de couverture > Un jour, voulant se mettre à l’abri d’une pluie battante, un homme pénètre dans le hangar d’une ferme abandonnée, au milieu des ronces et des orties. Là, il s’aperçoit que le sol est jonché d’un tas de vieilles choses, et notamment d’innombrables papiers, jetés en vrac par terre, comme si les habitants avaient dû fuir dans la précipitation. Papiers administratifs en tout genre, papiers de famille, papiers personnels. L’auteur (c’est à lui que cette histoire est arrivée) prend conscience que toute une vie, ou tout ce qu’il en reste, s’étale à ses pieds. Ce désordre indécent lui inspire un mélange de pitié et de colère ; il sait déjà qu’il en tirera un livre, une sorte de Tombeau des inconnus et aussi d’hommage aux vivants.

Ce livre, le voici. Alain Rémond y déchiffre à notre intention ses propres papiers, qui le rattachent à trois figures essentielles. Son père et sa mère, d’abord, leur amour puis la « guerre » qui s’est installée entre eux, faisant de chaque soirée autour de la table un enfer pour les huit enfants. Sa sœur Agnès, sorte d’Ophélie dont il retrouvera lui-même le corps pris dans les herbes, sous un pont, dans la rivière bordant le jardin de la clinique psychiatrique où elle était soignée.

Ces trois personnages au destin misérable ou tragique sont familiers aux lecteurs d’Alain Rémond, depuis Chaque jour est un adieu. De fait, l’auteur retrouve ici l’esprit des récits autobiographiques sur fond d’enfance bretonne qui lui ont valu jadis un succès considérable.

 

Alain Rémond, écrivain et journaliste, tient une chronique hebdomadaire dans Marianne et un billet quotidien dans La Croix. Ses récits très personnels (Chaque jour est un adieu, Un jeune homme est passé, Comme une chanson dans la nuit, Je marche au bras du temps) ont été des best-sellers au Seuil.

© Photo : A. di Crollalanza

 

Alain Rémond, Tout ce qui reste de nos vies, Seuil, mars 2013, 104 pages, 14,50 €

 


Stefan Zweig, La confusion des sentiments et autres récits


Première phrase > On croit le connaître mais il surprend toujours. On croit s’en lasser  mais il séduit encore. Stefan Sweig est un personnage attachant, bienveillant, cordial, fascinant, d’une immense culture et d’une immense intelligence sociale- autant de qualités qui ont été pour ses détracteurs autant de défauts.

 

Dernière phrase > Le joueur d’échecs : Czentovic fut le premier à quitter son siège en jetant un regard à la partie non achevée.

« Dommage, dit-il, magnanime. L’offensive était plutôt bien engagée. Je dois admettre que, pour un dilettante, ce monsieur est remarquablement doué. »

 

Quatrième de couverture > Ce volume rassemble l’essentiel des nouvelles et récits qui ont fait la valeur et la célébrité de Stefan Zweig (1881-1942).

L’écrivain excellait dans ces formes brèves, où son style et son analyse de l’âme humaine n’ont cessé de s’affirmer. Soixante-dix ans après sa disparition, il demeure l’un des auteurs les plus lus dans le monde, et notamment en France. Mais les traductions de Zweig, qui datent pour certaines d’un demi-siècle, ont souffert de l’épreuve du temps, rendant nécessaire de retraduire ses textes intégralement, dans un souci à la fois de modernisation et de fidélité à la version originale. Cette édition a aussi pour particularité de présenter les récits de Zweig dans l’ordre chronologique, ce qui permet de mieux saisir l’évolution de son écriture et des thèmes qu’il explore.

Certaines de ces œuvres, devenues introuvables ou restées inédites en français, tels Rêves oubliés, Une jeunesse gâchée ou Deux solitudes, révèlent des aspects méconnus de son imaginaire. On trouvera également ici ses titres les plus célèbres, d’Amok et de La Confusion des sentiments à Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, autant d’évocations fascinantes et toujours actuelles de destinées confrontées au vertige de la passion amoureuse, à son pouvoir démoniaque, à ses ambiguïtés et ses abîmes.

« D’emblée, observe Pierre Deshusses, Zweig se met du côté des victimes, qui requièrent sa sympathie et la compassion du lecteur. » Telle est sans doute la raison profonde de l’engouement qu’il suscite plus que jamais auprès d’innombrables lecteurs qui se reconnaissent si justement dans ses personnages.

 

Les nouvelles traductions ont été confiées, sous la direction de Pierre Deshusses, à Nicole Casanova, Irène Kuhn, Olivier Mannoni, Tatjana Marwinski, Jörg Stickan, Françoise Wuilmart et Sacha Zilberfarb.

 

Stefan Zweig, La confusion des sentiments et autres récits, Robert Laffont, coll. « Bouquins », février 2013, 1284 pages, 30 €

 


Camille Laurens, Encore et jamais : Variations

 

Première phrase > Je sais exactement où commence ce livre, de quelle scène il creusera l’inlassable répétition. D’autres me viennent à l’esprit,  mais c’est celle-ci qui règne. Je suis sous les draps, chaque matin, et au moment où j’ouvre les yeux, à l’instant précis où je comprends que je suis au monde et qu’une nouvelle journée commence, cela revient : non pas le souvenir d’une chose terrible mais l’angoisse, la sensation physique qui accompagne une chose terrible.

 

Dernière phrase > Et là, ça ne rate jamais. (je touche le bois de mon lit), une main se tend vers moi, repousse le marbre d’une pichenette, il y a un petit moment de suspense, je me revois saumon, le fleuve éclaboussant, je balance, je me tâte, mais comme la main reste tendue, je la prends, et hop, je me lève.

 

Quatrième de couverture > Mon cœur bat, les saisons reviennent, les gens qui m'attirent se ressemblent, les scénarios se répètent, la routine s'installe. Je redis, je relis, je revois, je refais, je ressasse ! Quelquefois aussi, je revis.

Ces variations se proposent d'explorer les pouvoirs de la répétition dans nos vies.

Photo © Catherine Hélie/Gallimard

 

Camille Laurens, Encore et jamais : Variations, Gallimard, janvier 2013, 192 pages, 16,50 €

 


Christophe Tison, Te rendre heureuse

 

Première phrase > Je me souviens comme nous étions beaux. Personne n’a été beau comme ça après nous. Ce soir-là, j’ai à nouveau ce sentiment en entrant avec elle dans le restaurant. La chaleur est toujours là, intacte.

 

Dernière phrase > Les lumières du couloir se sont éteintes et nous sommes restés longtemps à nous serrer l’un l’autre, ensemble enfin dans la violence, dans la noirceur, mais aussi dans l’intime beauté de la vie.

 

Quatrième de couverture > Un homme envoie un SMS à sa maîtresse, au lendemain de leur première nuit. Mais par habitude, il expédie ce message à sa femme, qui est en voyage, sans portable et loin de tout réseau. Sa femme dont il est pourtant très amoureux. Elle aura le SMS en rentrant, en se reconnectant. Et inévitablement, elle le quittera. Il a treize jours pour trouver une solution, treize jours pour tenter de comprendre cette énigme : pourquoi trompe-t-on ceux qu'on aime ? Le narrateur court après ce petit message dans un monde dominé par la pulsion, le plaisir instantané, qui promet un bonheur facile à ceux qui consomment... y compris des femmes, des hommes, ou des histoires d'amour dans l'espoir qu'elles les rendent heureux. Cette course folle bouleversera les personnages, leur vision du monde, jusqu'à l'amour qu'ils se portent. S'acharnent-ils à vivre une existence qui n'est pas la leur et qui ne leur convient pas ? Comment faire pour en changer et être enfin heureux ?

 

Christophe Tison est l'auteur, entre autres, de récits comme Il m'aimait ou Résurrection, parus en 2004 et 2008. Reporter, il a travaillé pour la presse et la télévision, notamment pour des émissions culturelles. Il tient sur Canal Plus une chronique quotidienne sur l'actualité internationale.

Photo © Catherine Hélie / Gallimard

 

Christophe Tison, Te rendre heureuse, L’Arpenteur/Gallimard, janvier 2013, 336 pages, 19,90 €

 


Philippe Soupault, Poèmes et poésies

 

Départ (Poésie 1917-1937)

L’heure

Adieu

 

La foule tournoie

un homme s’agite

Les cris

Des femmes autour de moi

chacun se précipite me bousculant

Voici que le soir tombant

J’ai froid

 

Avec ses paroles j’emporte son sourire

 

 

Éternel Automne (Crépuscules 1960-1971)

Écraser les souvenirs comme les feuilles mortes

feuilles mortes couleur de crépuscule

déjà pourritures multicolores et nécessaires

au pied des arbres dépouillés

et qui doivent refleurir avant un long silence

le long silence de l’espoir après le désespoir

toujours la même chanson la même saison

celle où l’on brûle  les fleurs les fruits  les feuilles

toutes les branches qu’il faudra couper

et les scier pour qu’on n’en parle plus jamais

plus jamais comme si rien n’avait été

et qui ne sera jamais plus enfin

enfin jamais plus puisqu’il faut finir

et qu’ainsi tout est pour le mieux

qu’on n’est pas obligé de choisir

Choisir les fumées que dévorera le vent

 

Quatrième de couverture > Depuis toujours, Philippe Soupault a choisi d'être un explorateur, un éclaireur, un de ces aventuriers de l'imaginaire curieux des contrées inconnues. De ces expéditions qu'a-t-il rapporté ? Des coquillages, des intuitions, des bribes de prose lumineuse, des poèmes surtout, autour desquels l'époque, la nôtre, s'enroule et se retrouve. Une œuvre ? Il refusait le mot. Juste quelques merveilles, éparses, fragmentées, comme les rêves d'une génération qui compta Aragon, Éluard, Breton – mais aussi Crevel et Artaud. Ce florilège, établi par lui-même à la fin de sa vie, révèle les jalons de son long itinéraire à travers les explosions de Dada et sur surréalisme.

 

Philippe Soupault est né en 1897 dans une famille bourgeoise. De quatorze à dix-sept ans il parcourt l’Europe et découvre sa vocation de poète sur les rives de la Tamise. Ainsi commence la vie de l’un des principaux représentants de la génération surréaliste, qui s’est éteint le 12 mars 1990 à Paris.

 

Philippe Soupault, Poèmes et poésies, Grasset, coll. « Les Cahiers rouges », janvier 2013, 304 pages, 9,90 €

 

Livres choisis par Annick Geille

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