5 livres toujours d’actualité ce printemps 2013
À côté des ouvrages sélectionnés, voici
cinq romans essais ou biographies qui procurent eux aussi, chacun à leur
manière, un vrai plaisir de lecture.
Première phrase > Il pleuvait comme si c’était la fin du monde, une pluie longue, épaisse, interminable.
Dernière phrase > Et voici ce que me dit Jacob : pense aux morts, mais occupe-toi des vivants.
Ce livre, le voici. Alain Rémond y déchiffre à notre intention ses propres papiers, qui le rattachent à trois figures essentielles. Son père et sa mère, d’abord, leur amour puis la « guerre » qui s’est installée entre eux, faisant de chaque soirée autour de la table un enfer pour les huit enfants. Sa sœur Agnès, sorte d’Ophélie dont il retrouvera lui-même le corps pris dans les herbes, sous un pont, dans la rivière bordant le jardin de la clinique psychiatrique où elle était soignée.
Ces trois personnages au destin misérable ou tragique sont familiers aux lecteurs d’Alain Rémond, depuis Chaque jour est un adieu. De fait, l’auteur retrouve ici l’esprit des récits autobiographiques sur fond d’enfance bretonne qui lui ont valu jadis un succès considérable.
Alain Rémond, écrivain et journaliste, tient une chronique hebdomadaire dans Marianne et un billet quotidien dans La Croix. Ses récits très personnels (Chaque jour est un adieu, Un jeune homme est passé, Comme une chanson dans la nuit, Je marche au bras du temps) ont été des best-sellers au Seuil.
© Photo : A. di Crollalanza
Alain Rémond, Tout ce qui reste de nos vies, Seuil, mars 2013, 104 pages, 14,50 €
Stefan Zweig, La confusion des sentiments et autres récits
Première phrase > On croit le connaître mais il surprend toujours. On croit s’en lasser mais il séduit encore. Stefan Sweig est un personnage attachant, bienveillant, cordial, fascinant, d’une immense culture et d’une immense intelligence sociale- autant de qualités qui ont été pour ses détracteurs autant de défauts.
Dernière phrase > Le joueur d’échecs : Czentovic fut le premier à quitter son siège en jetant un regard à la partie non achevée.
« Dommage, dit-il, magnanime. L’offensive était plutôt bien engagée. Je dois admettre que, pour un dilettante, ce monsieur est remarquablement doué. »
L’écrivain excellait dans ces formes brèves, où son style et son analyse de l’âme humaine n’ont cessé de s’affirmer. Soixante-dix ans après sa disparition, il demeure l’un des auteurs les plus lus dans le monde, et notamment en France. Mais les traductions de Zweig, qui datent pour certaines d’un demi-siècle, ont souffert de l’épreuve du temps, rendant nécessaire de retraduire ses textes intégralement, dans un souci à la fois de modernisation et de fidélité à la version originale. Cette édition a aussi pour particularité de présenter les récits de Zweig dans l’ordre chronologique, ce qui permet de mieux saisir l’évolution de son écriture et des thèmes qu’il explore.
Certaines de ces œuvres, devenues introuvables ou restées inédites en français, tels Rêves oubliés, Une jeunesse gâchée ou Deux solitudes, révèlent des aspects méconnus de son imaginaire. On trouvera également ici ses titres les plus célèbres, d’Amok et de La Confusion des sentiments à Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, autant d’évocations fascinantes et toujours actuelles de destinées confrontées au vertige de la passion amoureuse, à son pouvoir démoniaque, à ses ambiguïtés et ses abîmes.
« D’emblée, observe Pierre Deshusses, Zweig se met du côté des victimes, qui requièrent sa sympathie et la compassion du lecteur. » Telle est sans doute la raison profonde de l’engouement qu’il suscite plus que jamais auprès d’innombrables lecteurs qui se reconnaissent si justement dans ses personnages.
Les nouvelles traductions ont été confiées, sous la direction de Pierre Deshusses, à Nicole Casanova, Irène Kuhn, Olivier Mannoni, Tatjana Marwinski, Jörg Stickan, Françoise Wuilmart et Sacha Zilberfarb.
Stefan Zweig, La confusion des sentiments et autres récits, Robert Laffont, coll. « Bouquins », février 2013, 1284 pages, 30 €
Camille Laurens, Encore et jamais : Variations
Première phrase > Je sais exactement où commence ce livre, de quelle scène il creusera l’inlassable répétition. D’autres me viennent à l’esprit, mais c’est celle-ci qui règne. Je suis sous les draps, chaque matin, et au moment où j’ouvre les yeux, à l’instant précis où je comprends que je suis au monde et qu’une nouvelle journée commence, cela revient : non pas le souvenir d’une chose terrible mais l’angoisse, la sensation physique qui accompagne une chose terrible.
Dernière phrase > Et là, ça ne rate jamais. (je touche le bois de mon lit), une main se tend vers moi, repousse le marbre d’une pichenette, il y a un petit moment de suspense, je me revois saumon, le fleuve éclaboussant, je balance, je me tâte, mais comme la main reste tendue, je la prends, et hop, je me lève.
Ces variations se proposent d'explorer les pouvoirs de la répétition dans nos vies.
Photo © Catherine Hélie/Gallimard
Camille Laurens, Encore et jamais : Variations, Gallimard, janvier 2013, 192 pages, 16,50 €
Christophe Tison, Te rendre heureuse
Première phrase > Je me souviens comme nous étions beaux. Personne n’a été beau comme ça après nous. Ce soir-là, j’ai à nouveau ce sentiment en entrant avec elle dans le restaurant. La chaleur est toujours là, intacte.
Dernière phrase > Les lumières du couloir se sont éteintes et nous sommes restés longtemps à nous serrer l’un l’autre, ensemble enfin dans la violence, dans la noirceur, mais aussi dans l’intime beauté de la vie.
Christophe Tison est l'auteur, entre autres, de récits comme Il m'aimait ou Résurrection, parus en 2004 et 2008. Reporter, il a travaillé pour la presse et la télévision, notamment pour des émissions culturelles. Il tient sur Canal Plus une chronique quotidienne sur l'actualité internationale.
Photo © Catherine Hélie / Gallimard
Christophe Tison, Te rendre heureuse, L’Arpenteur/Gallimard, janvier 2013, 336 pages, 19,90 €
Philippe Soupault, Poèmes et poésies
Départ (Poésie 1917-1937)
L’heure
Adieu
La foule tournoie
un homme s’agite
Les cris
Des femmes autour de moi
chacun se précipite me bousculant
Voici que le soir tombant
J’ai froid
Avec ses paroles j’emporte son sourire
Éternel Automne (Crépuscules 1960-1971)
Écraser les souvenirs comme les feuilles mortes
feuilles mortes couleur de crépuscule
déjà pourritures multicolores et nécessaires
au pied des arbres dépouillés
et qui doivent refleurir avant un long silence
le long silence de l’espoir après le désespoir
toujours la même chanson la même saison
celle où l’on brûle les fleurs les fruits les feuilles
toutes les branches qu’il faudra couper
et les scier pour qu’on n’en parle plus jamais
plus jamais comme si rien n’avait été
et qui ne sera jamais plus enfin
enfin jamais plus puisqu’il faut finir
et qu’ainsi tout est pour le mieux
qu’on n’est pas obligé de choisir
Choisir les fumées que dévorera le vent
Philippe Soupault est né en 1897 dans une famille bourgeoise. De quatorze à dix-sept ans il parcourt l’Europe et découvre sa vocation de poète sur les rives de la Tamise. Ainsi commence la vie de l’un des principaux représentants de la génération surréaliste, qui s’est éteint le 12 mars 1990 à Paris.
Philippe Soupault, Poèmes et poésies, Grasset, coll. « Les Cahiers rouges », janvier 2013, 304 pages, 9,90 €
Livres choisis par Annick Geille
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