Annick Geille est écrivain, critique littéraire et journaliste. Elle rédige une rubrique mensuelle pour le journal Service Littéraire et dirige la Sélection en ligne du Salon littéraire. Elle vient de publier son onzième roman, Rien que la mer, aux éditions La Grande Ourse.

Patrick de Wever et Bruno David. Extrait de : La biodiversité de crise en crise



EXTRAIT >

 

Préface

 

Permettez-moi, tout d’abord, de rendre hommage aux dinosaures sans lesquels je n’aurais pu écrire ces quelques lignes. Sans leur brutale disparition, en effet, mes ancêtres n’auraient pas trouvé l’écosystème nécessaire à leur épanouissement et, par conséquent, nous ne serions pas pour contempler le passé et envisager l’avenir.

Bien des scientifiques seraient choqués par mon raccourci qui résume allégrement 65 millions d’années (voire plus !). Patrick De Wever et Bruno David s’en accommodent avec un sourire en coin lorsqu’ils nous racontent l’incroyable épopée du vivant sur notre petite planète. Mais leur tolérance a ses limites. S’ils conviennent que la vulgarisation impose la réduction, ils s’inquiètent clairement des idées reçues estompant les idées connues.

Ce début de XXIe siècle semble vouloir s’imposer comme un siècle éclairé. De même qu’au XVIIIe siècle, le Siècle des Lumières affichait une soudaine gourmandise du savoir, de même aujourd’hui, la société veut se reposer sur la science, probablement faute d’être satisfaite par la politique. S’emparant des connaissances, elle attend une réponse à ses inquiétudes alors que la planète pourrait connaître ce qu’il est déjà convenu d’appeler la « sixième crise d’extinction ». C’est dans ce climat, plus empreint d’inquiétude que de curiosité, que les scientifiques doivent sortir de leur laboratoire pour livrer leurs secrets. Pas facile. D’abord parce que la connaissance est diversement interprétée au sein même de la communauté des chercheurs. Ensuite parce que les « sachants » avouent humblement que les questions restent plus nombreuses que les réponses.

Ce constat n’affaiblit pourtant pas leur détermination. Patrick De Wever et Bruno David en font la preuve dans cet ouvrage qui nous invite à explorer la fantastique épopée du vivant… soit quelque 3 500 millions d’années ! Remarquablement documenté, ce travail ne se prive pas d’intégrer au passage Tintin, Voltaire ou Agatha Christie. C’est dire que les auteurs ne s’enferment pas dans un sectarisme scientifique. Tout au contraire, ils veulent raconter, expliquer, voire imaginer en fonction des connaissances acquises. La biodiversité apparaît dès lors plus lumineuse bien que tellement complexe. L’occasion est également bonne pour pointer les incohérences. Qui se soucie, par exemple, du phytoplancton « qui est le plus grand puits de carbone de la planète » ? Qui plaide pour les virus, bactéries et autres diversités microbiennes, acteurs essentiels de la biodiversité ?

De loin en loin, nos deux scientifiques nous invitent à revisiter nos perceptions. Ainsi le réchauffement climatique ne serait-il pas profitable à une belle part de la biodiversité ? De même, la dégradation avérée du vivant ne s’inscrit-elle pas dans une logique historique lorsque l’on apprend que « les espèces existantes aujourd’hui représentent 1 à 2 % de l’ensemble des espèces ayant existé » ?

Enfin, ne vaut-il pas mieux s’attarder sur le niveau de population d’une espèce répartie sur l’ensemble de son périmètre plutôt que sur un modeste territoire ? En  clair, la disparition de l’ours dans les Pyrénées serait-elle dramatique puisqu’il reste de nombreux cousins en Slovénie ?

Pointant les contradictions dans l’interprétation des connaissances acquises, les auteurs déstabilisent nos certitudes. C’est une bonne chose, car elle enrichit la réflexion. Mais ils pourraient aussi nous entraîner insidieusement vers un scénario de démobilisation. Au constat qu’« une crise peut se révéler favorable à la richesse de la biodiversité » ou que « l’histoire de la biodiversité montre qu’elle est le résultat du changement », on prendrait le risque de s’exonérer de nos devoirs de préservation. Cela me rappelle les propos de ce très médiatique professeur au Collège de France qui, pariant sur le génie humain, considérait que nous trouverions toujours une autre planète d’accueil en cas de désastre ici-bas. Enfonçant le clou, Patrick De Wever et Bruno David s’en prennent également aux médias et autres ONG ou scientifiques coupables d’une dramatisation qui conduirait à la lassitude. Oui, le risque existe. Mais la perception du déclin actuel s’inscrit tout juste dans les consciences. Le sommet de Nagoya en est l’illustration.

Ainsi, tout en rendant hommage au travail éclairant et nécessaire de cet ouvrage, je persiste à rester nostalgique du « paradis perdu », même si son évolution participe de la logique. De même, avec eux je plaide pour que la réalité scientifique s’accompagne d’une perception philosophique ou politique déterminant nos choix. Enfin je revendique l’idée de « biocentrisme » invitant à appréhender le vivant dans sa globalité, sa richesse et sa diversité, sans considérer l’homme comme le seul moteur. Je postule pour le réveil des sens, le bonheur de caresser, écouter, sentir… J’aspire à côtoyer les animaux ayant perdu la peur de l’homme.

Oui, l’utopie d’un monde meilleur s’inscrit dans mes ambitions. Reste que l’improbable gouvernance qui pourrait servir ce délicieux projet ne s’exonérera pas du savoir. Et à cet effet, La biodiversité de crise en crise s’impose comme une remarquable pierre à l’édifice.

À propos, comment comprendre cette allusion dans la conclusion à la danse de Shiva ? Il faut lire tout l’ouvrage pour en savoir plus et vous conviendrez qu’il serait malvenu de dévoiler l’issue d’une aussi prodigieuse histoire.

 

Allain Bougrain-Dubourg

Président de la LPO

Membre du Conseil économique, social et environnemental

 

 

Avant-propos

 

On ne peut regarder la Terre de façon statique. Comme le pressentait déjà Ovide dans ses Métamorphoses, il est nécessaire d’adopter une vision dynamique.

En observant la Lune, on voit une surface cratérisée et sèche comme un vieil os. Si l’on regarde la Terre depuis l’espace, on fait face à un astre coloré qui contraste avec les autres dans cette région du cosmos. Si l’on regarde suffisamment longtemps, on remarque le tournoiement de grands nuages blancs à la dérive couvrant et découvrant tour à tour des parties de la Terre à moitié cachées. Si l’on pouvait regarder encore plus longtemps, à l’échelle géologique cette fois, on verrait les continents eux-mêmes en mouvement, dérivant comme des plaques flottantes au déplacement assuré par un phénomène de diffusion de chaleur interne. Considérer la Terre que nous voyons, les êtres qu’elle porte, de façon figée, c’est ne voir qu’un instantané d’un film qui reste alors incompréhensible. Il importe aujourd’hui d’envisager une Terre changeante, inscrite dans une dynamique, avec son histoire. Elle a un commencement et elle aura une fin, au plus tard dans environ 5 000 millions d’années, quand le Soleil ne brûlera plus son hydrogène et que la Terre, ayant dissipé toute son énergie, se sera figée.

La Terre est âgée de 4 600 millions d’années. L’histoire de la vie est liée à celle de la Terre depuis son origine ou presque, puisque, depuis environ 3 800  millions d’années, les êtres vivants drapent le globe d’un voile qui fut malmené à diverses reprises mais est resté toujours présent. La biodiversité a évolué au cours des temps géologiques, immenses, parfois avec des accélérations importantes. On dit d’ailleurs que nous vivons la sixième grande crise du monde vivant. On dit aussi que le réchauffement climatique est un risque pour la planète. On dit aussi que les volcans sont dangereux pour la vie car ils sont tueurs. On dit, on dit… On dit tant de choses. Il y a des convictions, certaines sont psychologiques, d’autres sont factuelles. Les premières sont issues d’affirmations péremptoires et répétitives, les autres sont avérées mais souvent liées à quelques incertitudes… Comme     l’être humain préfère les opinions indiscutées, il a tendance à privilégier les affirmations péremptoires.

Dans ce livre sont abordés quelques points qui sont des « acquis », ou considérés comme tels. Il ne s’agit pas d’une approche délibérément iconoclaste, mais celle de scientifiques qui ont comme ligne de conduite la remise en cause, le doute, qui sont certes peu confortables, mais qui ont l’avantage de ne pas être des vérités « avalées toutes crues ».

Notre objectif n’est pas d’apporter la vérité, il n’y en a pas en science. Nous montrons qu’une démarche scientifique porte ses incertitudes, ses approximations, ses pièges. Nous soulignons aussi que la science est faite d’abord par des hommes, avec leurs grandeurs et leurs faiblesses. Ces hommes sont empreints de leur temps ; ils sont marqués par leur culture. La nature est d’une très grande complexité dès que l’on veut sortir de la contemplation poétique. Dans ce livre, nous nous sommes attachés à illustrer quelques aspects de cette complexité, à montrer que tout agit sur tout, à toutes les échelles de temps et d’espace.

 

© Albin Michel 2015

© Photo : Franck Ferville et DR

 

 

Quatrième de couverture > C’est toute l’histoire de la vie sur la Terre qui est ici passée en revue, depuis son apparition jusqu’à sa complexité actuelle. Après avoir décrit sommairement pourquoi cette vie est apparue, dans quelles conditions, puis les étapes par lesquelles elle est passée, les auteurs s’attachent à montrer cette alternance curieuse d’explosions de biodiversités, suivies de rétractations, permettant l’apparition de formes nouvelles. À travers les hésitations des biologistes et des géologues qui sont retracées, le lecteur va comprendre peu à peu que la vie elle-même est balbutiante du fait des interactions entre biosphère et environnement dans toutes ses composantes (terrestres, aquatiques, atmosphériques...). Des espèces disparaissent en masse, laissant le champ libre à l’apparition et la diversification de nouvelles formes vivantes.

Dans l’histoire de la vie sur terre, cinq crises ont ainsi modifié en profondeur la biodiversité de notre planète. Toutes les hypothèses sur leurs causes sont ici passées en revue (volcanisme, météorites, géologie profonde, etc.). Deux d’entre elles sont présentées de façon plus détaillée : celle qui a provoqué la disparition des dinosaures et celle qui menace de nos jours la biodiversité, toutes deux ayant une origine climatique, mais la dernière étant probablement provoquée par l’explosion démographique et les activités qui y sont liées.

Comprendre l’histoire de la biodiversité, c’est comprendre la nécessité qu’il y a, de nos jours, à la protéger ; c’est aussi se prémunir contre les dangers de l’émotion et revenir à une approche scientifique fondamentale.

 

Patrick De Wever est professeur au Muséum national d’histoire naturelle, spécialiste de l’histoire de la Terre. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Temps de la terre, temps des hommes (Albin Michel, 2012).

Bruno David est professeur à l’Université de Bourgogne, spécialiste de biodiversité et de biogéosciences, directeur de recherche au CNRS.

 

Pages choisies par Annick Geille

 

Patrick de Wever et Bruno David, La biodiversité de crise en crise, Albin Michel, janvier 2015, 200 pages, 22

 

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