Pierre Assouline : Golem
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Première impression : Bande et titre intrigants. L’épigraphe de Beckett donne le pitch : « Qui parle ainsi se disant moi ? » La quatrième de couverture nous fait penser à un polar, plus sophistiqué que d’autres. Fausse piste, et ce malgré les propos de l’auteur, interviewé chez son éditeur Gallimard (d’après Livres-Hebdo : « L’un des deux meilleurs employeurs de France », d’où, sans doute – entre autres bienfaits – le professionnalisme et la gentillesse du service de presse). Pour ne pas effrayer son lecteur, Pierre Assouline affirme avoir voulu écrire un thriller. L’auteur de Vies de Job et d’une biographie de Simenon s’y connaît en spiritualité et en suspense. Il ose donc, à partir de la légende du Golem (cf. cet Adam pas tout à fait humain de la légende juive) une fable métaphysique, avec plusieurs niveaux de lecture. Polar, oui, sans doute, mais pas seulement.
La tragédie hante le Golem de Pierre Assouline comme elle habite l’œuvre de Rothko. Le peintre utilise pour l’exprimer une sorte de guerre des couleurs. Le rouge est celle qu’il préfère : c’est la forme du tragique. Golem est, de ce point de vue, une fable « rouge ». Quant au côté « science-fiction » et « neurosciences » du roman de Pierre Assouline, il ne fait qu’anticiper très modérément la microchirurgie de demain. L’Obs nous apprend en effet que « des chercheurs britanniques manipulent des embryons humains ».
La première phrase : « Quand fond la neige, où va le blanc ? »
Quelques phrases donnant le « La » : « Son extrême lucidité sur lui-même, que nul ne devinait si douloureuse, avait toujours donné à Gustave Meyer la possibilité de se fixer ses limites et de savoir jusqu’où les dépasser. Perturbé comme il l’était par tout ce qu’il avait vécu ces derniers jours, profondément marqué par ses lectures du Saulchoir et les perspectives qu’elles lui ouvraient, il jugea que c’était assez pour sa carcasse d’homme, fût-elle monstrueuse.
Il cherchait le mot de passe permettant de circuler du monde visible au monde invisible et surtout d’en revenir, et ne trouva que le sacré partout où il se cache. Or, l’humilité de l’homme qui s’y tient suffit à conférer à n’importe quel lieu son caractère profondément sacré. Nahman de Braslav disait que le sacré n’est ni au ciel ni sur terre mais entre les deux. Ne lui restait plus qu’à descendre tous les jours un peu plus dans ses propres abîmes au risque de s’enténébrer.
Désormais, il en savait beaucoup plus sur la créature de Prague, mais qui peut dire qu’il sait quelque chose du Golem ? Comme lui, il marchait dans la ville la nuit, et passé le coin de la rue, devenait invisible. Au-delà, celui que sa culpabilité officieuse condamnait à se dissoudre aux yeux du monde demeurait ce à quoi les circonstances l’avaient réduit : un homme en fuite qui se protégeait pour persévérer dans son être. » (page 122)
La dernière phrase : « Puis il scruta le ciel où va le blanc quand fond la neige. »
Conclusion : Ce roman touchera ceux qui – hommes ou femmes, croyants ou agnostiques –, dans le matérialisme ambiant, osent se distinguer. De plus en plus nombreux, ils se posent des questions. Par exemple : la vie, la mort, l’amour, l’amitié. Le sens. Le sacré… L’essentiel, en somme, et réservé à la littérature.
Annick Geille
© Photo : C. Hélie
Pierre Assouline, Golem, Gallimard, janvier 2016, 272 pages, 19 €
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