Annick Geille est écrivain, critique littéraire et journaliste. Elle rédige une rubrique mensuelle pour le journal Service Littéraire et dirige la Sélection en ligne du Salon littéraire. Elle vient de publier son onzième roman, Rien que la mer, aux éditions La Grande Ourse.

L’inoubliable Coluche

19 juin 2016 : trentième anniversaire de la disparition de Coluche. « L’homme à la salopette » succomba sur une route d’Opio lors d’un accident de moto, le 19 juin 1986. À l’occasion de cet anniversaire, Jean-Claude Lamy (journaliste littéraire et biographe, prix Goncourt de la biographie pour son Prévert) et Philippe Lorin (peintre et illustrateur qui réalisa, entre autres, de beaux portraits de Colette) lui rendent hommage par le texte et l’image dans un album intitulé Chez Coluche, histoire d’un mec inoubliable.

 

« Toujours grossier, jamais vulgaire », comme il se définissait lui-même, Michel Colucci, né le 28 octobre 1944 à Paris, fit ses débuts au Café de La Gare et devint rapidement « Coluche », grâce à ses one man show et son fameux sketch, « C’est l’histoire d’un mec, etc. », dont le scénario changeait en fonction de l’actualité. Proche de Patrick Dewaere, Coluche se définissait comme un « ancien pauvre ». « Humanitaire » avant l’heure, il fut et demeure le fondateur des Restos du Cœur, dont il cerna le concept lors d’une émission sur Europe 1, le 26 septembre 1985. « Pourquoi pas deux à trois mille couverts tous les jours, préparés et servis par des bénévoles ? » déclara-t-il à l’antenne. Les « pauvres » lui doivent une fière chandelle, les riches aussi. Depuis la loi Coluche en effet (20 octobre 1998), les sommes versées aux associations caritatives sont exonérées d’impôt…




Caustique, provocateur, parlant couramment le « Parigot », Coluche combattait le politiquement correct, la pensée unique, montrant du doigt tout roi qui était nu. Son rire grinçant fit le reste. Il se présenta à la présidentielle de 1981 pour tourner la classe politique en dérision, obtenant – d’après les sondages – près de 16 % des voix. « J'appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques, à voter pour moi, à s'inscrire dans leurs mairies et à colporter la nouvelle. Tous avec Coluche. Le seul candidat qui n'a aucune raison de vous mentir ! » Son programme : « Jusqu’à présent la France était coupée en deux, avec moi elle sera pliée en quatre ! »



                                     © Playboy (Édition française)


 Avant « Le mariage pour tous », et pour moquer au passage les sexistes, machistes, racistes, les anti-gays, anti-travelos et tous les psychorigides, il « épousa » devant les caméras – déguisé en mariée rougissante –, son compère Thierry Le Luron, aux Champs-Élysées, le 24 septembre 1985. Devenu un phénomène de société, Coluche figura au palmarès des « grandes » interviews de Playboy, fondé aux États-Unis par Hugh Heffner et publié en France à près de 200 000 exemplaires. Nous avions l’habitude de confier les interviews politiques à Jean-Claude Lamy, journaliste à France-Soir. Le reporter s’en allait recueillir les propos de ceux que la rédaction souhaitait voir figurer au sommaire (BHL – sa première interview – Sagan, amie de la rédaction, etc.), quand il ne proposait pas ses propres sujets (Édith Cresson, entre autres scoops, alors secrétaire nationale du PS, amie de François Mitterrand). Jean-Claude défendit l’idée d’une grande interview de Coluche ; quoique publié au début des années quatre-vingt, l’entretien qu’il nous remit n’a pas pris une ride. Nous le reproduisons ici tel qu’il parut en 1981, dans les premières pages du mensuel qu’éditait en France Daniel Filipacchi, à l’époque le premier éditeur de presse magazine. Comment réagirait Coluche face à tel ou tel épisode, plus ou moins consternant, de notre actualité ? Le comique d’alors en resterait sans doute muet, la gorge serrée, face à une époque parfois si dure qu’il semble impossible de la narguer.

 

Annick Geille



Interview. Jean-Claude Lamy : Les circonstances de l’interview de Coluche dans Playboy

 

Que faisait Coluche lorsque vous l’avez approché pour cet entretien ?

Il se produisait au Théâtre du Gymnase à Paris dans un one man show qui faisait salle comble chaque soir et travaillait aussi pour Europe 1.

 

Pourquoi Coluche a-t-il accepté cet entretien dans un mensuel tel que PLayboy ?

Le grand avantage des interviews de Playboy – outre la réputation du journal, qui réunissait les meilleures plumes de l’époque, c’était la longueur. Sur une vingtaine de feuillets, ces entretiens représentaient pour une personnalité dans l’actualité politique ou culturelle, l’occasion unique de s’exprimer avec des nuances. Raison pour laquelle ces entretiens fouillés, avec des réponses qui prennent leur temps, sont de véritables documents.

 

Où Coluche vous a-t-il donné RDV ?

J’ai contacté son agent, Paul Lederman, qui avait été aussi, et entre autres, le manager de Claude François. Coluche a été tout de suite d’accord, à une condition : je devais me rendre vers minuit chez lui rue Gazan, près du parc Monsouris. Une maison sur deux étages. Chaque soir, Coluche recevait le Tout-Paris médiatico-politico-artistique. L’interview a été réalisée de une heure à trois heures du matin. Devant le micro de Playboy, que je représentais donc, Coluche n’était plus du tout le clown farfelu, imprévisible et loufoque que nous connaissions tous, mais un homme très sérieux, extrêmement intelligent, réfléchi, qui voulait faire passer un message d’humanité.

 

En quoi ces propos vous semblent-ils toujours d’actualité ?

Aujourd’hui, Coluche tiendrait le même discours sur la vie, la société, la misère, les problèmes de l’existence, la crise, le chômage. Lui-même ayant connu à ses débuts des moments très difficiles, il savait de quoi il parlait.

 

L’ambiance, chez Coluche ?

Tout le monde fumait des pétards. Coluche et moi nous étions isolés dans un coin. Le magnétophone n’a pas fonctionné et j’ai dû revenir le lendemain soir pour reprendre une partie de l’entretien. D’autres invités fumaient les mêmes joints. Coluche décida par prudence de tenir lui-même le micro, et nous avons enregistré nos propos sur son magnéto et le mien. Mon livre « Chez Coluche, un mec inoubliable » reprend en grande partie cette interview ; elle a inspiré mon ami le dessinateur Philippe Lorin. Coluche est mort, pas sa voix.

 

Propos recueillis par Annick Geille

 

Jean-Claude Lamy et Philippe Lorin, Chez Coluche, Histoire d’un mec inoubliable, éditions du Rocher, mai 2016, 118 p., 20,90 €

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