"Aux belles Abyssines", de Bernard Bonnelle : La mer, l'amour, la mort

Un roman que baigne la touffeur de Djibouti, au début de la guerre de 1939, alors que ce bout de France, loin de la Métropole, au carrefour de l'océan Indien et de la mer Rouge, attend dans la fièvre le début des hostilités. Le narrateur, Pierre Jouhannaud, officier de marine, commande l'Etoile-du-Sud. Un patrouilleur à la tête duquel il remplace son ami Alban de Perthes, retrouvé mort  dans sa cabine, une balle dans la tempe.

 

La rumeur publique, répandue dans ce microcosme que constitue la petite société coloniale, prétend que celui-ci, incapable d'entreprendre et de diriger une mission périlleuse, s'est suicidé par couardise.

 

Une version qui est loin de convaincre Pierre. Liés depuis leurs années d'étudiants, les deux hommes ont bourlingué ensemble sur le Jeanne-d'Arc. Leur amitié est de celle qui survit à tous les coups de tabac - même si le caractère fantasque d'Alban contraste avec celui, plus réservé, plus conventionnel, de son camarade.

 

Pour connaître la vérité sur cette mort mystérieuse, ce dernier va mener une enquête dont les péripéties constituent la trame du récit. Au premier degré, donc, un polar dont l'officier mué en détective serait le héros. Pourtant, l'intérêt de ce livre excède de loin la seule énigme policière. C'est aussi, c'est surtout, un roman d'atmosphère qui ressuscite avec une vérité criante la vie coloniale telle que la connurent les soldats envoyés aux confins de l'Empire. Moeurs locales, choses vues narrées avec un souci de réalisme que soulignent les détails exotiques. Evocation colorée d'une ville où la misère côtoie le luxe. Ainsi procédait un Henry de Monfreid. Ou un Pierre Loti, que Bernard Bonnelle n'est pas sans rappeler à quelques égards.

 

Le moment est, en outre, tout à fait particulier. Encerclée par des territoires sous la coupe de l'Italie fasciste, la Côte française des Somalis grouille d'espions qui ne doivent en aucun cas avoir connaissance du suicide du marin. Et pas davantage les équipages français, qui en seraient démoralisés.

 

C'est dire que Pierre doit jouer serré. Au nombre des protagonistes, des menteurs qu'il devra démasquer. Des personnages douteux, comme Potemkine, l'homme à tout faire de l'Etoile-du-Sud. Une jeune Ethiopienne dont la photo retrouvée sera une pièce déterminante du puzzle. Tout comme Aux Belles Abyssines, un bordel à matelots, véritable épicentre du drame. Sans compter le patrouilleur lui-même, aux chaudières à bout ce souffle, leurre amarré à quai en permanence, dont le lecteur connaît dans le détail la mécanique et les faiblesses.

 

Bernard Bonnelle a été marin durant plusieurs lustres. Il n'ignore rien de ce qui touche aux bâtiments de combat. Sans parler des moeurs et des caractères de ceux qui en constituent l'équipage. Son roman est celui d'un amoureux de la mer et de la marine. Le luxe de détails dont il abreuve son lecteur garantit l'authenticité de son récit. Quant à la touche de romanesque, elle est la cerise qui sublime la saveur du gâteau.

 

Jacques Aboucaya

 

Bernard Bonnelle, Aux Belles Abyssines, Editions de La Table Ronde, janvier 2013, 184 pages, 17 €

 

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