Larry McMurtry, Lune Comanche. Folie à l’Ouest.

Écartons d’emblée divers préjugés qui pourraient entraver l’envie de lire ce livre : pavé, certes, et comptant plus de 700 pages, il est vrai ; mais aussi, grand texte épique d’une lecture étonnamment facile. Les moins courageux le garderont pour le mois d’août.

Prix Pulitzer pour ce roman en 1986, scénariste du célèbre Secret de Brokeback Mountain, Larry McMurtry n’est pas un inconnu. Il navigue depuis longtemps dans les lettres américaines, situé entre son frère Jim Harrison et son cousin James Lee Burke – c’est dire l’envergure de ce gaillard.

On s’attend donc à une épopée, qui va démarrer lentement, puis décoller de monstrueuse manière, prenant son envol vers le chapitre 12, quand apparaissent des personnages secondaires qui ne sont pas piqués des hannetons : « - Tu vas nous accompagner au campement. Mon père voudra peut-être te torturer, déclara Blue Duck. Il est en colère parce que tu as conduit Big Horse jusqu’ici. »

L’homme qui est apostrophé ainsi, Famous Shoes, un pisteur Kickapoo, ne se laisse pas démonter ; il sait bien que les Comanches le haïssent. Mais baste ! Il sait aussi que les Comanches sont tellement occupés à survivre, à voler des chevaux, à pourchasser les Texans blêmes et distraits qui parcourent leur territoire, qu’il va sans doute sauver sa tête. Quant à Blue Duck, le fils indigne de Buffalo Hump, c’est un jeune meurtrier inventif dont nous suivrons les forfaits jusqu’à la fin. En un seul roman, nous en apprenons davantage sur les Indiens que dans maints traités d’anthropologie : ces Comanches-là ne sont pas des gentils, ni des « Indian givers », comme on disait en Californie dans les années 80…

Ceux qui les pourchassent leur ressemblent beaucoup : ce sont les Texas Rangers. Ils ne mangent pas leurs chevaux mais consomment beaucoup plus d’alcool et de cartouches. Les deux personnages principaux, Gus et Call, braves Rangers amoureux des grands espaces et abrutis par l’alcool et le machisme, vont laisser des plumes dans ce combat épuisant au cours duquel leurs amis, frères d’armes, femmes parfois, enfants plus rarement, vont être exterminés, scalpés et démembrés.

L’intrigue évolue ainsi, d’avant la guerre de Sécession, à l’époque de la « Frontière », jusque pendant la guerre – le massacre d’Austin – quand Gus et Call ne savent pas s’ils vont devoir tirer sur leurs camarades connus de longue date, parce qu’ils risquent de rejoindre les « maudits Yankees » ou les « putains de Rebelles », et encore après cette guerre... Nous suivons ainsi certains personnages hauts en couleurs, tel l’érudit et fantasque capitaine Inish Scull, qui sera fait prisonnier par Ahumado, un Indien assez abject, et qui subira la torture que les chroniqueurs romains des guerres carthaginoises ont appelée le supplice de Régulus (par respect pour nos deux ou trois lectrices, nous ne détaillerons pas ce martyre célèbre). Inish Scull, pourtant, en réchappera, et connaîtra un destin grandiose. Il souffre cependant d’avoir épousé Inez, une terrible mégère issue d’une riche famille du sud, fort libertine et inventive, qui bouscule les jeunes Rangers dans son placard ou son alcôve : « Mme Scull s’assit sur lui : - Silence, Gussie, au trot ! Gentil petit Ranger, au trot ! »… et qu’il retrouve ruisselante de sperme au retour d’une promenade en calèche. Habitués à se disputer, se houspiller, se cravacher, les riches époux Scull traversent leur époque comme d’autres gens moins fortunés : dans la folie, les errances et la confusion – notre maître Faulkner a déjà arpenté ces collines…

Roman de l’excès, de la guerre, de la souffrance et de la cruauté, Lune Comanche ressemble peu à son titre.  À coup sûr, « Poteau de tortures » conviendrait mieux, ou encore « Folie des hommes ». Que cela n’empêche personne de se jeter sur cette épopée terrible : on reste ainsi des jours, lecteurs haletants, à traverser les canyons et à se perdre entre les bosquets de mesquite, attendant de découvrir si le capitaine Inish Scull va récupérer son cheval géant alors que, depuis belle lurette, les hommes d’Ahumado l’ont mangé.

Bertrand du Chambon

Larry McMurtry, Lune Comanche - Lonesome Dove : l’Affrontement, Gallmeister, juin 2017, 762 pages. 27,00 €

 

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