Laurence Bertrand Dorléac : le pas en-deça et au delà

Pour Laurence Bertrand Dorléac, en finir avec la nature morte, est une manière de redonner de l'identité au vivant. Car le genre est étudié ici avec une sur-attention délicate et une profondeur des temps et des champs. Dans un tel genre se loge le cœur des choses et se crée une quête vertigineuse où nous glissons et à laquelle nous ne pouvons échapper.
Cette recherche énonce  l'illusion du monde phénoménal et son infinie  pureté et/ou impureté, symboles d'un lien avec l'éveil du regard et de l'affect en recherche d'une intensité plus aiguë au delà de la prétendue noblesse du portrait ou du paysage.

Comme à son habitude,Laurence Bertrand Dorléac fonde sa pertinence et la fluidité de son écriture sur de vivants piliers. Par l'observation des œuvres d'art des peintres, sculpteurs, photographes et cinéastes (anonymes, Piraïkos, Mu Qi, Aertsen, Spoerri, Gupta, Tati, Tarkovski...), la pensée des philosophes (Philostrate, Montaigne, Marx, Weber, Sterling, Barthes, Latour, Appadurai…) et des écrivains (Montaigne, Deubel, Baudelaire, Hugo, Michaux, Ponge, Perec…), ce superbe livre devient le lieu idéal du dialogue et de la dialectique entre le vivant et le non-vivant, entre les êtres et les choses, le présent et le passé.

Le genre – et son extension tel qu'il est proposé par la créatrice – montre une face humaine. Il fait donc autorité non seulement par les variations formelles ou formalistes qu'il peut engendrer. L'essayiste invite à repenser – depuis l'aurore des temps – l'histoire et la géographie de l'espace de la représentation bien au delà des frontières de l'Occident. Elle établit des correspondances entre les arts contemporains et les arts anciens, précise comment s'inscrit la tension entre l’abondance et le vide, l’être et l’avoir depuis que les hommes produisent, fabriquent et accumuler nourritures tout ce qui appartient à l'ordre du désir et de la prédation.

S'aventurant en de tels territoires, Laurence Bertrand Dorléac ouvre bien des portes loin du solennel et du convenu. Elle emporte la réflexion là où il s'agit encore de chercher à partir du genre pictural et son au-delà. S'y mêlent le dérisoire et le sublime dans les fissures des espaces et du temps.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Laurence Bertrand Dorléac, Pour en finir avec la nature morte, coll. Art et Artistes, Gallimard, novembre 2020, 220 p.-, 26 €

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