"Omale tome 1", Qualité française

"La présence de huit nefs à quai expliquait l'effervescence qui régnait dans le train, les cris d'enfants, les exclamations bruyantes des voyageurs. De la fenêtre de son compartiment, Amees'SixteedeVorsal apercevait le dos arrondi des nefs chiles bosselant la ligne de fuite vers l'horizon. Chacune d'elles mesurait un jal au bas mot, soit plus de mille deux cents mètres de long..."

Laurent Genefort, la force de la persévérance


Ce volume regroupe deux ouvrages parus initialement dans la collection « millénaires » chez J’ai Lu, Omale et Les conquérants d’Omale. Quand Laurent Genefort commence le cycle d’Omale, il a plusieurs dizaines d’ouvrages derrière lui, parus chez Fleuve noir dans la collection Anticipation. Publié pour la première fois en 1989, ses premiers efforts n’ont pas laissé un souvenir impérissable. Mais notre auteur a appris patiemment son métier, obtenant le grand prix de la science-fiction française pour Arago en 1995 (avec en prime une couverture d’Enki Bilal). De plus, Laurent Genefort, auteur d’une thèse sur le space-opera, a réfléchi au genre et à son potentiel. Admirateur de Stefan Wul (citons Niourk, Les orphelins de Perdide) et de Dan Simmons (Hyperion), il porte aussi un intérêt peu commun en France à la hard science, sous-genre de la science-fiction articulant les anticipations technologiques proposées dans une histoire sur des bases scientifiques solides. Omale est la somme des différentes expériences de son auteur ; il marque aussi clairement une date dans l’histoire du genre en France.


Planet-opera


Le monde d’Omale est à la base une sphère de Dyson, (ou ”dysosphère”) : il s’agit en fait une coquille de matière solide entourant une étoile. Elle a été imaginée par Freeman Dyson, un astrophysicien américain, dans un article daté de 1960, avec pour but la récupération totale de l'énergie d'une étoile. Créée par une espèce de démiurges inconnus appelés les Vangk - qu’on retrouve dans toute l’œuvre de Genefort -, Omale accueille les représentants de trois espèces intelligentes : les Chiles, les Hodgqins et les Humains. Chaque espèce occupe dans un premier temps une aire bien spécifique mais Chiles et Humains vont s’affronter pendant des centaines d’années avant finalement de trouver le chemin de la coexistence pacifique. Une 4ème espèce, nommée les Aesirs, orbitant autour de l’étoile Héliale, commerce de temps à autres avec la surface.


Laurent Genefort a conçu ce qu’on appelle un livre-univers, à l’instar de Dune de Frank Herbert, d’Helliconia de Brian Aldiss ou des chroniques de Durdane de Jack Vance, qui se veut aussi un aboutissement de nombreux thèmes traités dans d’autres de ses livres (on retrouve l’idée du voyage initiatique dans Arago, par exemple). Il change cependant d’ampleur (un cycle de trois livres à ce jour), de format (chaque roman dépasse les 400 pages) mais aussi d’ambition : Genefort a imaginé un univers entier, il s’est livré à un exercice que peu d’auteurs en France osent.

 

La quête


Omale, c’est avant tout un roman initiatique. Six habitants d'Omale, membres des trois espèces principales, se retrouvent chacun en possession d'un fragment de coquille d'œuf, d'un billet pour un long voyage et de la promesse de trouver au bout la réponse à leurs questions. Tous s'embarquent sur un dirigeable qui traverse l'océan, et sont les seuls survivants de son naufrage. Ils affrontent leurs démons les plus intimes, avec en arrière-plan une hostilité héritée des guerres passées. Comme dans Hyperion, l’histoire de chaque personnage interpelle le lecteur, relance continuellement le roman. Et la confrontation finale avec celui qui les a rassemblés est assez fascinante.


La guerre éternelle


Tout autre est le contexte des Conquérants d’Omale dont l’histoire se passe des siècles avant le précédent roman : le conflit s’étend sur un front de 20 000 km séparant les deux races les plus agressives, Humains et Chiles, tandis que les Hodgqins tiennent un rôle de conciliateurs. Dans cette guerre interminable, les belligérants épuisent leurs ressources en combats inutiles. De plus, malgré leurs talents guerriers et leurs aptitudes au massacre, les Humains ont un retard technologique qui les désavantage face aux Chiles. Afin de renverser le cours de la guerre, un commando composé de combattants particulièrement aptes à la survie est envoyé pour récupérer un canon pris aux Chiles. Pour ce faire, le généralissime humain a désigné des hommes rompus au combat, bientôt menés par Jeremiah, qui a grandi au front. Ailleurs sur Omale, une ambassade réunit les Humains et les Chiles, sous le patronage des Hodgqins. Ces ambassadeurs doivent rencontrer les Aesirs, qui contrôlent l’accès aux airs et à l’espace, en vue de négociations commerciales. Mais cette rencontre est menacée par un complot dans lequel le représentant humain, Bolokenko, trempe allègrement pour établir la suprématie de son espèce. Loin du front, une mystérieuse plaque de ténèbres avance rapidement, congelant tout sur son passage. Et si Omale devenait un désert de glaces, tombeau des trois espèces ?


Ce premier volume passionne car il possède une qualité magique, une expression anglaise que je me permets d’utiliser à nouveau : le sense of wonder. Plonger dans Omale, c’est connaître un monde différent, avec des couleurs et des sons différents. Et pourtant encore suffisamment proche pour qu’on puisse retrouver des traits contemporains chez les Omaliens (d’ailleurs, l’auteur, par sa peinture des religions présentes sur Omale, a visiblement un compte à solder !). Et Laurent Genefort a réussi son entreprise, comme Banks (dans le cycle de La culture), Simmons (Hyperion, encore lui), Herbert (Dune) avant lui. Quand on a connu cet auteur à ses débuts, on mesure le chemin parcouru : il sait désormais peindre des psychologies complexes, prendre le temps de camper des situations, installer une ambiance.


2014 verra apparemment la parution d’un nouveau volet du cycle, Les vaisseaux d’Omale : vivement l’année prochaine !

 

Sylvain Bonnet

Laurent Genefort, Omale 1, couverture de Manchu, Denoël collection Lunes d’encre, novembre 2012, 880 pages, 30 €

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