"Selon toute vraisemblance" de Laurent Graff : exercices de disparition.

À la croisée de la littérature absurde et de l’exercice de survie, Laurent Graff déploie un humour crépusculaire au service d’intrigues et de chutes avortées liées dans un cheminement poétique déroutant.

Le recueil se compose de dix nouvelles brèves, en forme de tranches de vie, déclinées sur le mode de l’anonymat et de l’effacement.

On y découvre le quotidien d’un client mystère ; anonyme professionnel, expert en invisibilité, maitre dans l’art de la transparence. Celui-là a choisi la marge ; une marge aussi glaciale que feutrée. Indifférent aux rumeurs du monde, ne s’encombrant de rien, le client mystère enchaine les rapports de visite dans un coma existentiel exemplaire.
Il finira par hanter l’Ikea du coin, s’accommodant de la situation sans broncher, depuis que le détecteur des portes automatiques a fini, lui aussi, par ne plus le remarquer.

Plus loin, Delphine perd irrémédiablement les lettres de son nom de famille, comme l’on perd ses dents de lait, à la différence près que celles-ci ne repoussent pas. En attendant, reste le recours à des maris pourvus de patronymes à rallonge, afin de repousser l’échéance ; on ne s’en étonne pas plus que ça.

Pour les personnages de Laurent Graff – véritable collection de fantômes – l’heure n’est pas à l’affirmation mais au repli, à la fuite et à la passivité dans une société où l’exhibition, la démonstration et la surabondance tiennent le haut du pavé. On se laisse mener par le cours des choses, n'adhérant à rien. On apprivoise la neurasthénie. Au mieux on se débrouille, quitte à se manger soi-même pour ne pas mourir de faim. Les objets s’égarent, les cheveux tombent, la mémoire remet le compteur à zéro à la sonnerie du réveil, le passé et l’avenir semblent s’annuler dans les considérations d’un mort-né, tandis que d’autres, guidés par de mystérieuses pulsions, s’en vont du jour au lendemain construire un mausolée fait d’ustensiles dérisoires et dont le sens échappe à tous.

« Il y a un but mais pas de chemin. » écrivait Kafka. Bien que les héros de Laurent Graff s’éloignent de l’agitation caractérisant la plupart des personnages de l’auteur tchèque, l’influence est palpable.

La quête de sens au cœur d’un univers grotesque, ne finissant pas de se caricaturer, enfle tout au long du recueil jusqu’à irradier les dernières pages d’une aura quasi mystique. En observateur impassible, se penchant sur des hommes et des femmes sortis de tout contexte, débarrassés de leurs oripeaux, exclus de la vie elle-même en tant que construction – en dehors du temps – Laurent Graff s’interroge sur la valeur de l’être et sur la possibilité d’un retrait total comme dernier périmètre de liberté.

« Ce n’est pas donné à tout le monde d’être n’importe qui. »

Malgré l’inconsistance de rigueur que l’auteur inflige à ces décomplexés de l’ennui et autres chers disparus, Selon toute vraisemblance parvient à tenir en haleine et à captiver par son minimalisme, révélant, au bout du compte, quelque chose de beaucoup plus fort que l’absence qu’il semblerait au premier abord célébrer.

Arnault Destal


Laurent Graff, Selon toute vraisemblance, Le Dilettante, Mars 2010, 154 pages, 15 euros
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