Etrange que ce petit monsieur Franz Kafka, auteur mondialement connu pour trois romans dont il a demandé lui-même la destruction à son ami Max Brod, lequel, fort heureusement, est un aimable judas, qui, comme le fidèle christique, force la révélation. Etrange parce que toute sa vie est une longue errance à petits pas vers rien, pas de grande exaltation, pas d'aventure, pas d'engagement, il est comme son personnage à la grille du château, à la porte de la vie en attendant qu'elle s'ouvre. 

 

Ouvrir une porte, c'est ce que propose Laurent Jouannaud dans Kafka suite, comme l'on offre une seconde chance à un auteur mort trop tôt, avant d'avoir pu connaître la reconnaissance de son lectorat. Et donc un Kafka qui ne meurt pas prématurément au sanatorium en 1924, des suites de cette vilaine tuberculose qui l'affaiblissait depuis des années. Kafka va traverser le siècle, subir le nazisme comme juif et ses enfants iront vivre en Israël. 

 

Le roman de Laurent Jouannaud est une biographie complétée, mais il respecte les règles du genre. Le personnage est vivant, sa vie est conforme aux récits qui en ont été fait, avec une qualité d'écriture qui prend le lecteur et l'emporte dans cette réalité augmentée. Et c'est cette qualité narrative qui fait qu'on glisse petit à petit du réel au possible sans que le lecteur, pris par l'écriture et les faits qui s'enchaînent, ne s'étonne pas plus que cela de cette nouvelle vie de Kafka. Mais ce que Laurent Jouannaud montre dans ce roman, outre la connaissance et l'amour profond de son héros, c'est que le fatum qui s'acharnait à griser la vie du vrai Kafka ne s'adoucit pas avec la fiction, et que le petit monsieur gris qui a marqué l'histoire de la littérature sans en avoir l'air reste le même, comme marqué pour l'éternité et toutes ses vies possibles du même destin. Une petite démonstration kafkaïenne sur la vie d'un homme !

 

Loïc Di Stefano

 

Laurent Jouannaud, Kafka suite, Pascal Galodé éditeur, octobre 2012, 21 eur

• Dix bonnes raisons de ne pas lire Kafka, suite, par Laurent Jouannaud