Odessa aux mille visages… autrefois

La grande Catherine, tsarine exceptionnelle, fonda Odessa en 1794. Avec l’idée généreuse d’une ville cosmopolite. Une oasis de tolérance et de libéralisme. La porte de la Russie en Mer noire serait sublime. Le premier gouverneur (de 1803 à 1814), noble français héritier des Lumières, mit en place les infrastructures de la ville. Appela les paysans russes et étrangers à s’installer dans les environs. Fit construire un opéra. Puis un théâtre, un lycée et permit l’installation de nouveaux arrivants sous la condition qu’ils plantent des arbres sur leur propriété. Un certain art de vivre venait de naître…
Puis vint l’élargissement du port, la navigation à vapeur et la première ligne de chemin de fer, vers le milieu du XIXe siècle. 1912 vit le tournage du premier film policier russe : Les Catacombes d’Odessa.

Isaac Babel grandit dans une Russie où le statut de Juif était précaire. Mais Odessa était particulière. Un tiers de sa population était juive. Occupant donc une place prépondérante. À tel point qu’on y créa la première école juive russe. Odessa devint l’une des villes de l’empire les plus florissantes possédant même une Bourse et une Bibliothèque publique. Cela attira aussi tous les nationalistes éconduits (polonais, ukrainiens, grecs…) et favorisa l’émergence du sionisme. Jabotinsky, l’âme damnée du mouvement politique d’émancipation naquit aussi à Odessa…
Il s’y manifestait une joie de vivre très particulière. Une insouciance. Un esprit de l’instant présent et une bonne dose d’humour. C’est d’ailleurs ce qui séduit dès les premiers récits. Isaac Babel croque littéralement les gens, les situations. C’est cocasse, enlevé, trépidant. C’est très visuel aussi. On n’imagine sans mal les décors, les situations désopilantes. Tout un folklore populaire. Une culture enthousiaste qui s’affirme malgré tout…

C’est tellement visuel que cela finira par un scénario. Celui de Bénia Krik prévu pour un film muet. Devant être réalisé par Eisenstein en parallèle du Cuirassé Potemkine. Mais cela ne put se faire. Ce fut Vladimir Vilner qui tourna le film. Au grand regret de Babel. Puis le film fut retiré sous prétexte de romantiser le banditisme… On ne peut rien contre la censure. Et l’imbécillité. Ce qui est triste c’est de voir qu’elle revient en force de nos jours avec l’idéologie woke qui condamne tout par principe… 

L’écriture de Babel rappelle la folie felliniène. C’est burlesque à souhait. C’est truculent. Avec une poésie flirtant à chaque détour de phrase, donnant au récit ce rythme particulier. Ce détachement qui rend le sérieux déraisonnable et donc encore plus sérieux. Et toujours désarmant. Souriant malgré la tension qui sépare les personnages…  Et Babel de manier la dérision en interpelant le lecteur : si vous voulez savoir la suite, suivez-moi.
Oui. Suivez-le dans ces récits merveilleux.

Et si vous êtes sous le charme, offrez vous les Œuvres complètes, soit plus de 1300 pages de bonheur...

 

Annabelle Hautecontre

 

Isaac Babel, Récits d’Odessa suivis de Le Crépuscule – Pièce en huit scènes et de Bénia Krik – Récit cinématographique, traduit du russe et présenté par Sophie Benech, Le Bruit du temps, mai 2021, 288 p.-, 9 €

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