Huit quartiers de roture, Henri Calet chiffonnier de son passé

Miracle : un nouveau Calet ! Jean-Pierre Baril, affûtant la biographie consacrée à l’auteur du Tout sur le tout – attendue depuis longtemps par les amateurs ! –, établit, annote et présente ce « Petit guide des XIXe et XXe arrondissements de Paris ». Inédit en volume, ce petit ouvrage, que le bien nommé Dilettante propose au voyageur sédentaire, ravira les Parisiens et tous les autres. Calet, qui n’avait pas rencontré le succès avec Fièvre des Polders et autre Mérinos, publications d’avant-guerre, endosse à la Libération le paletot du reporter. Et voici le flâneur à la paresseuse lancé dans la course de l’Est, la capitale traversée au long cours du métro depuis le quatorzième. Huit quartiers de roture parcourt ces deux arrondissements populaires, balades assez déprimantes, en convient lui-même leur auteur, adaptées à la radio pour le Programme Parisien, en 1952.

 

Comme toujours, Calet parle bien de ce qu’il connaît bien. Il a laissé une partie de son cœur – qui bat quelque part sous sa semelle – dans ce Paris en négligé qui ne se souvient pas l’avoir vu grandir. La Belle Lurette fut écrite, en effet, du côté de la rue Botzaris. Là, il connut aussi une amourette avec une jeune juive polonaise. C’était l’époque où l’on chassait les juifs, comme ailleurs on traque les fauves. Qu’est-elle devenue ? Le promeneur sentimental repasse par les cases du Monopoly familial : Mon père y est né, mon grand-père y est mort. J’y ai vécu. Et je viens d’en faire le tour. L’auteur s’amuse devant les hasards de l’homonymie : un certain Henri Calet tenait, du côté de la rotonde de La Villette, une échoppe d’écrivain public ! Souvenir un peu flou, comme ceux du père, ami de Ravachol, qui applaudissait Louise Michel à Belleville –Vierge Rouge de la Commune – sur la butte du même sang, et connut sans doute le funiculaire qui escaladait les pentes de Ménilmontant.

 

Calet remplit sa besace de petites miettes – poussières de la route –, savoure les bijoux de famille de Paris entr’aperçus des hauteurs du Père-Lachaise – à la façon d’un Rastignac sur le retour. Une terre pauvre, cent fois remuée, certes, mais où pousse l’herbe aux lapins du côté des Grands Moulins de Pantin et où Jean-Jacques Rousseau, allant par les vignobles et les prairies escarpées, cueillant le Picris hieracioides, fut renversé par un gros chien danois, le jeudi 24 octobre 1776.

 

Historien averti – guides sérieux dans les poches – Calet ne manque pas de rendre visite aux paysages réputés : le gibet de Montfaucon – non loin du rocher semi artificiel des Buttes-Chaumont –, le légendaire cimetière juif du 44 rue de Flandre, défendu ce jour-là par des chiens, le quai du métro Couronnes, où un certain jour d’août 1903, soixante-quinze cadavres asphyxiés parachevaient le naufrage du Titanic.

 

D’un hôtel dégarni à une terrasse à vin blanc qui adoucit le monde, le regard un peu triste aux abords des abattoirs de La Villette, Calet appréhende le temps qui passe et salue le prolo en casquette – frère des siens. Il regrette aussi le costume de turco que lui avaient refusé, cette année-là, ses parents, pour la fête de mi-carême, poussant un peu loin l’application de leurs doctrines antimilitaristes. Revigoré, Calet envisage une semaine de vacances à Charonne, ayant remonté le cours de ses racines, chiffonnier de son passé. Populaire et brumeux, le quartier, comme le souvenir, reprend ses couleurs, parfois : Oui, il suffit d’un peu de soleil pour transformer, embellir, n’importe quelle ruelle, n’importe quelle impasse.

 

Frédéric Chef    

 

Henri Calet, Huit quartiers de roture, préface de Jean-Pierre Baril, Le Dilettante, mai 2015, 224 pages, 20 €

Le livre est accompagné d’un CD comprenant des extraits de la version radiophonique du texte, avec notamment la voix d’Henri Calet.
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