Fausse route de Pierre Mérindol : Un coup de poing à travers les lorgnons

Il y a des lectures qui vous prennent comme la route. Une envie de partir. Un coup de poing à travers les lorgnons. Votre serviteur ignorait jusqu’à l’existence de Pierre Mérindol, écrivain. Un nom d’apéritif des Cévennes ? Un genre de pseudo pour dissimuler quelles activités ? Robert Giraud, on l’avait lu, et croisé sous la lumière des zincs. On avait essayé de le suivre, quand il se jetait des ballons de rouge pour retrouver son chemin à travers la nuit. Et puis, là, on faisait connaissance sur le tard avec un de ses potes, auteur d’un seul roman et quel roman ! – Fausse route –, paru chez Minuit en 1950. Pas le genre de Minuit, pourtant, cette complainte de la sorgue, ce poème en prose fourré de sortilèges. Pas nouveau roman pour un sou ! Beaucoup mieux que ça… Maintenant, il s’agissait de faire l’article…

 

La guerre vient de se terminer. Un drôle de zigue – le narrateur – fait la connaissance d’Edouard chez un bougnat des Halles. Avec son air de missionnaire russe ou de cambrioleur mondain, suivant le cas, il fascine tout ce qui bouge. Alors, on s’embarque avec lui dans son Berliet-Diesel pour aller chercher des poireaux à Lyon. La nationale a des airs de route 66 du pauvre, avec ses platanes tordus, ses Dubo, Dubon, Dubonnet, et l’histoire les allures de road movie des bords de Saône – comme une sorbetière qu’on renverse et dégoulinant en traînées demi-deuil et berlingot. Sur les rives de l’aventure nocturne, il y a parfois une douzaine d’huîtres avec un blanc de Tain l’Hermitage 1943 (sans étiquette, mais à s’en souvenir longtemps). Un quotidien fabuleux à l’exotisme facile : Pour parvenir au domaine pur de la légende il faut passer par toutes les épreuves de la médiocrité qui en fait le prix, écrit Mérindol. Chercher une femme rien qu’à soi après l’avoir levée. On détourne alors une frangine, une Françoise avec son corsage ouvert jusque là et ses bras tout ronds, qui se promène comme une bête traquée.

 

Il s’agit pour Edouard et son acolyte de ne pas sombrer complètement dans la déveine, ni dans le quotidien des cloportes, ne pas quitter la route, ne pas se foutre au décor – au propre comme au figuré – avec le six cylindres rempli de cageots. Et puis surtout, échapper au train-train des autres avec leurs lois communes, leurs cadres, leur temps divisé en horaires de chemin de fer, leurs passages cloutés et leurs sens interdits. Si l’humour est présent dans cette histoire, il est le plus souvent cinglant comme les formules coups de fouet dont l’auteur fait claquer son récit. Bien des images font lever les yeux au ciel – pleines de ce « fantastique social » cher à Mac Orlan – : la lune qui donnait à la nuit l’allure d’un pernod léger ou bien encore la nuit – toujours elle ! – qui pendait aux fenêtres comme des tentures noires les jours de deuil national. Il y aurait de quoi faire une anthologie…

 

Fausse route, ce serait l’épopée ordinaire d’un Bardamu Quatrième République qui serait revenu d’à peu près tout, lui aussi – mensonges éculés, illusions et désespoirs d’après-guerre. Son voyage d’homme lucide au bout du quotidien, pitoyable et merveilleux, est un roman noir sans concession, un combat de boxe – poids léger – dont on sort secoué mais ragaillardi. On songe à Jean Meckert, Jacques Yonnet, pour la parentèle. Bravo le Dilettante !  

 

Frédéric Chef

 

Pierre Mérindol, Fausse route,  Le Dilettante, février 2015, 128 pages, 15 €

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