La Peur de l'orgasme

Le titre de cet essai peut laisser dubitatif, tant l'injonction à jouir est devenue obsessionnelle, il faut jouir de tout et partout, c'est en tout cas ce que laissent supposer les médias.  
Alors en préambule de la chronique de ce livre, j'ai voulu enquêter un peu sur cette  histoire de crainte de l'orgasme. Je me suis rendue sur des forums de sexualité et j'ai constaté en effet que de très  nombreuses  jeunes femmes demandent de l'aide parce qu'elles ont une peur bleue de l'orgasme ;  l'unique raison de ces trouilles viscérales n'étant rien moins que celle décrite dans l'essai de Bernard Andrieu : la perte de contrôle. Elles l'expriment ainsi avec des mots très forts, sensation d'évanouissement,  d 'explosion, peur de la mort, peur de choses inconnues, peur de  la honte de se révéler être une personne que l'on passe son temps à contenir etc... Alors oui, encore aujourd'hui cette peur de l'orgasme existe bel et bien et ces femmes cessent  immédiatement l'acte dès qu'elles ressentent cette apocalypse qui approche. 

Jouir,  rappelle Bernard Andrieu, c'est le naufrage de la conscience et de la raison. L'orgasme est une extase et l’extase est une catalepsie, et  même bien sûr comme l'ont démontré la religion et la morale durant des siècles et des siècles... une hystérie. Tout un chapitre est réservé à cette hystérie et à ses traitement abominables.
Mais auparavant l'auteur insiste sur le fait que l'orgasme est une expérience qui ne peut pas être  relatée, sans en faire une construction de l'esprit. Or c'est une expérience qui ne concerne que le corps. Tous les médiums, quels qu'ils soient  ne font que transposer l'extase, ils  la conscientisent en la trahissant forcément, puisque  s'il y a orgasme, il y a anéantissement de la conscience. Dès lors, comment pouvoir dire  cette extase autrement qu'avec l'artifice du récit ?

La première partie de l'essai relate l'historique de la  peur de l'orgasme orchestrée par les sociétés qui se sont succédé. Cela rappelle un peu l'essai L'esthétique de l'éjaculation  (même édition) que j'ai chroniqué ici même. Pour ne pas que les gens jouissent (jouir avec son corps  est antisocial, on échappe à son propre contrôle mais aussi à celui des censeurs , de l'état, de la religion..) il fallait qu'ils ne se masturbent pas et qu'ils ne fassent l'amour que pour se reproduire. Et là, à vrai dire, il faut avoir l'estomac solide pour visualiser sereinement tout l'arsenal mis à la disposition de la vertu. Et, vu le sort qui lui a été réservé,  les femmes ont pu regretter parfois que le clitoris ait été redécouvert par la médecine d'alors.

Qu'une femme jouisse, c'était la preuve qu'elle était par nature hystérique, les convulsions, les yeux révulsés, les contractures prouvaient qu'elle était possédée et que la faute en revenait à ses organes sexuels.  La nymphomanie  (abus de désirs sexuels) était une maladie comparable à l'épilepsie. 

Et là, amies lectrices  il me faut  vous parler de Kellog ! Pensez-y avant de manger les céréales  de  ce Monsieur Kellog,  car l'inventeur de  ces corn flakes est un pervers sadique, totalement misogyne. Leur pub disent vouloir du bien à votre ventre  ? Sachez que papa Kellog voulait le bousiller, et pas qu'un peu. Il a combattu la masturbation avec de la diète végétarienne, des suppos, des cures tactiles, mais aussi des punitions, des douches glacées, de l'électricité, de la chirurgie, des applications d'acide carbonique sur le clitoris pour éradiquer la pensée érotique et apaiser l'excitation anormale.

Pour les hommes, contre l'auto-fornication on avait au menu les sangsues anales, la belladone et l'opium, des anneaux dentés à l'intérieur qui punissaient à la moindre érection, sans parler des corsets.
Je vous laisse découvrir plein d'autres réjouissances que l'on retrouve, comme le fait remarquer Bernard Andrieu dans les jeux SM...

Puis vint, l'heureux temps de la désutérusation de l'extase... avec tout son cortège de bienfaits pour l'organisme.

L'essai se poursuit avec la déconstruction des genres qui permettrait de donner au corps plus de liberté et de facultés pour atteindre l'orgasme. 
Un passage très intéressant sur la pornographie, l'obscène et la performance, avec la question :  peut-on jouir de morceaux de corps, d'images découpées, de corps décomposés ?
Mais je me suis plus volontiers arrêtée sur l'interrogation suivante : Jusqu'où serions nous prêts, incorporés dans des normes et des valeurs à nous défaire de nous-mêmes, à nous déranger et nous dégenrer pour découvrir d'autres possibilités d'existences ?  Parce que Bernard Andrieu nous entretient aussi de l'imaginaire érotique  du tactile lié aux nouvelles technologies. Et là,  du coup, je me dis qu'il y a de quoi, peut-être, craindre le trip high-tech...

Conclusion perso : 
Intéressant essai,  pourtant c'est bien joli tout cela mais  le corps toujours est  bien sous contrôle : régimes, sport, diététique, médecine, anti tabac, anti alcool, précis d'amour physique...
La peur du corps libre, qui jouit et meurt est plus que  jamais d'actualité.  

Alors si l'on pouvait, au moins, laisser  l'extase dans l'indicible, à jamais hors contrôle de tout et surtout de la technologie, ça serait bien. Je fais dire à Laure qui vient de jouir avec les mots de Luchini, dans ma nouvelle "Ré mon enfoirée" : [La jouissance est un mot impénétrable qui exclut tous les autres, tu peux bien dire "je jouis" mais ça n'en dit rien du tout. Tu ne peux pas en dire plus, décrire la jouissance ni l'expliquer. Il y a la jouissance, et après le silence. C'est tout. ]

Anne Bert

Bernard Andrieu, La peur de l'orgasme, Edition Le Murmure, novembre 2013, 79 pages, 7 €

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