Francis Métivier plonge dans les bas fonds de l'être aimé

Roman intimiste par excellence, Dans ton corps pose ces questions :  Qu’est-ce que l’intime ? L’invisible, le secret, les choses de l’esprit, de l’âme, celles du corps, de l’enveloppe charnelle ou de l’organique, des viscères ? 

Mais le livre interroge aussi le sexe et l’amour. 


Descente en toute conscience dans les bas-fonds d’un être aimé.

Lire Dans ton corps n’est pas de tout repos, c’est une expérience inédite et curieuse, à mi-chemin de celui d’Alice au Pays des merveilles et du spéléologue.


Le lecteur assiste à la miniaturisation du narrateur  affolé qui, pour une histoire de mots et d’expressions galvaudés,  est précipité dans le corps de sa femme adorée  par la voie la moins glamour, celle du trou du cul. Je vous accorde que l’entrée en matière est pour le moins cavalière, d’autant plus que le narrateur n’y a pas été invité, il emprunte les voies impénétrables à l’insu de la dame, elle ne s’aperçoit même  pas de l’infiltration lilliputienne. Mais ne soyons pas bégueules.


Lui, sidéré observe sa lente progression [...La voie se rétrécit.Je ferme les yeux. Un passage lent et une compression de toutes parts. Avalé par un boa constrictor...] Campé dans son anus, il va progresser très lentement dans le tube digestif puis bifurquer dans d’autres organes. Les yeux grand ouverts tout à la contemplation intérieure de sa femme, ému et amoureux, le cœur battant il fait face à tout, les matières, les textures, les flux et les reflux des liquides colorés. Par chance, miraculeusement, il n’a plus d’odorat. 

Il  progresse dans le cheminement intérieur, s’exalte et éprouve son amour, fusionne, s’inclut à sa femme, se soulage en elle avec joie, c'est plus grisant encore qu'une pluie dorée sur un visage, il se nourrit de ses humeurs dans lesquelles il baigne [...te manger me plaît..Je colle ma bouche contre tes tissus et aspire. Huitre géante dont j'avale les sécrétions. Intestinulingus....] Avec autant de ferveur qu’un cunnilingus…  Il entend et ressent le moindre gargouillement, mouvement, l’inclination du corps, la moindre palpitation. Il lui arrive même de bander en glissant sur ses tissus et sa chair digestive.

 

L’auteur détaille avec précision la géographie des viscères, visite le moindre espace et philosophe sur le sens de ce qu’il vit. L’amour absolu, voilà ce qu’il ressent en baignant dans les viscères de sa femme. [ ..cette substance, c'est toi. Je me sens, dans ta matière assurément putride aussi amoureux de toi que si tu étais déconfite, vieille, malade, rendue laide par accident. ....Même cérébralement lésée, la bouche ouverte, la lèvre pendante, la bave aux commissures, je te prendrais dans mes bras comme maintenant...en charpie ou brûlée...Même dans le comas. Quand le corps ne peut plus, le désir de l'âme veut encore.....Aimer, c'est s'attendre à côtoyer la blessure de l'autre, sa maladie...ce moment où l'intérieur sort à l'extérieur, les larmes, le sang. Marcher dans ta merde, finalement, et n'en éprouver aucun dégoût, c'est t'aimer jusqu'au bout....] Ici je pense à Rouge de Marie Delvigne, ce magnifique texte dérangeant  sur l’amour d’un homme pour sa femme mourante.

 

L’épiderme caressé,  la chair pénétrée avec son sexe ne lui suffisent pas, il se sent frustré parce que pour lui, l’amour c’est la fusion, c’est être UN.  Il veut aller plus loin que le col de l’utérus ou  l’espace que la longueur de son sexe lui permet de pénétrer lors d’une sodomie. C’est précisément sur ce point que je n’adhère pas du tout avec la vision du narrateur (ou de l’auteur). parce qu’il affirme que c’est le seul principe du sexe : la pénétration des orifices. C’est évidemment une vision exclusivement phallique, une nécessité de possession, prendre possession du corps entier, profond, jusque dans son centre.


Derrière la pénétration absolue, se cache la possession, le fantasme de revenir dans le corps féminin, de l’habiter, de se l’approprier. C’est effarant de lire cela pour une femme….avoir un homme ad vitam æternam dans son corps….  D’ailleurs page 68, il reconnaît que son fantasme est [.... toute ma chair dans toute ta chair. J'espère me dissoudre en toi. Ainsi nous ne nous quitterons plus jamais. ..] Jusqu’à imaginer mourir en elle. [...je me décomposerai et me dissoudrai dans tes tissus...]


Le mystère s’invite dans ce chemin initiatique vers l’absolu, lorsqu’il perçoit  dans la respiration de sa femme quelque chose de magique et de métaphysique. C’est alors qu’il s’interroge sur le sens de cette exploration en elle. Est-cela aimer ?  Faut-il qu’il reste en elle ? comment ressortir et  la libérer de sa présence indiscrète?


L’exercice de pensée est riche d’enseignement. Qu’est-ce qu’aimer  une femme ? qu’est-ce que lui faire l’amour ? Qu’est-ce que le sexe ? Et l’intime ? A vrai dire, ce roman est angoissant…il y a quelque chose du cannibalisme dans cette vision fusionnelle du rapport amoureux. 

Sans doute Francis Métivier a-t-il touché là l’insupportable pour tant d’hommes et de femmes : on reste toujours seul avec soi, même  en aimant passionnant. On cherche l’amour pour tenter d’échapper à cette solitude intrinsèque à l’être humain, pour se sentir moins seul. Mais le désir de l’autre tel que Métivier le décrit ici ne me transporte pas, il y a sans doute quelque chose de mystique à se fondre dans l’organique de l’autre mais je ne l’éprouve pas. Pire, je conçois cela comme un tue-l’amour. Non pas que l’organique me dégoûte, au contraire, il me fascine plutôt mais  on peut approcher l’absolu et donner tout de soi en empruntant encore d’autres cheminements sexuels qui scellent un lien amoureux puisque c’est le propos de l’auteur : l’approche sexuelle absolue.


Si je ne vois pas dans cette envahissement organique  à la manière d’un amour métastase une manifestation ultime du sexe, par contre,  j’approuve la nécessaire "pleine conscience" de chaque geste amoureux et sexuel car c’est justement dans cette pleine conscience que l’acte ou le geste prend tout son sens.  Mais le tréfonds de soi, l’intime,  notre jardin secret même le plus trivial doivent rester inviolables, c’est de toute façon un leurre que de vouloir croire que de les pénétrer nous approprie l’être aimé.


Anne Bert


Francis Métivier, Dans ton corps – Editions Le Passeur – février 2014 – 192 p. – 17,90 €- format numérique 6,99 euros.


Francis Métivier est docteur en philosophie, professeur de lycée et conférencier dans l’enseignement supérieur. Spécialiste des questions d’esthétique et d’éthique, il a écrit sur des sujets aussi variés que l’amour (Le Concept d’amour chez Kierkegaard), Rabelais ou le vin. Chanteur et guitariste, il est le créateur des philoconcerts, inspirés de son essai à succès Rock’n Philo (Bréal, 2011). Il est également l’auteur de Zapping Philo (Le Passeur, 2013)

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