Dewaere, d'Enguerrand Guépy ? « Du cristal »…

Enguerrand Guépy signe une évocation magistrale de ce que put être, fort mal être, l’ultime journée déambulée par le feu follet Dewaere. Il faut d’emblée souligner que le parti pris narratif adopté permet à l’auteur d’exploiter la vérité la plus nue des faits sans sombrer dans le lyrisme toc ni le cliché, hélas si souvent de mise dans la veine du biopic mi-romanesque mi-document. En effet, la justesse d’Un fauve tient au fait que seul le pronom « il » est utilisé de bout en bout du récit, et que le nom de Patrick Dewaere ne vient à être explicitement mentionné que dans les dernières lignes, au moment où le point de vue a basculé du côté du narrateur en « je ». Le déclin d'une star? Non. L'échec d'un homme.

Art de l’ellipse (ne cherchez pas la scène du suicide, c’est le point aveugle et forcément sourd de ces pages), nervosité du trait et de la formule, syntaxe parfaitement balancée au gré d’un souffle coltranien… Enguerrand Guépy réalise, à travers une prose calibrée, un sans faute. Autre salutaire mutisme – et qui n’a rien d’une omerta : il ne prétend amener aucune révélation, aucune nouvelle lecture de ce qui se serait résumé à un fait divers sordide s’il n’avait concerné le plus jeune monstre sacré du cinéma français.


On voit, on voit littéralement, ce violent au cœur d’hyperémotif rencontrer deux fois sur la journée le même chauffeur de taxi, la première alors que l'enthousiasme culmine, la seconde quand il touche le fond ; tendre les pognes en avant avec une grimace qui fait exploser de rire son public d’amis conquis ; saluer en mousquetaire avant de se rendre à la cabine téléphonique où il reçoit l’appel laconique qui scellera son destin ; et préparer son tomber de masque solitaire, l’effacement d’un visage qui lui rappelle trop celui du père inconnu, surgi de quelle mémoire abyssale et venu le happer à contre-destinée…


Ce jour de juillet 1982, on croise, au sortir de l’appartement où le gisant défiguré subit une expertise balistique, un Blier tétanisé, en proie sans doute au même questionnement qui tarauda Dewaere : « Et si le premier rôle dans Les Valseuses lui était revenu plutôt qu’au gros ? ». Trente ans plus tard, on assiste à la conférence d’un Lelouch toujours déchiré par le faux bond de ce roc fait « de cristal » que le réalisateur vouait à devenir un éblouissant Marcel Cerdan.

De cette noire légende qui n’est hélas qu’une triste histoire vraie, reste un acteur qui a tout de l'hapax dans l’histoire du cinéma hexagonal, qui ne jouait pas la rage mais la vivait, disant : « Ta scène, je vais te la faire, mais une seule fois » et démontant tout le décor. Reste « un frère parti fâché » (Guépy mérite un prix littéraire rien que pour cette formule) qu’on a envie d’étouffer dans une accolade à chaque fois que ce salaud se repointe. Reste cette épure nocturne, une page eau-forte, une page sanguine, qui compose une poignante mélodie en sous-sol et le premier roman-rush du XXIe siècle français.


Frédéric Saenen


Enguerrand Guépy, Un fauve, Éditions du Rocher, octobre 2016, 191 pp., 17, 90 euros.

7 commentaires

WIKI dit:


h non aspiré d'après le Larousse 1973 ou le Robert 1997, donc "l'hapax, pas le hapax".

Merci, "FAL", de m'avoir permis de corriger cela.

 

Soyez assuré qu'en retour, si je venais à trouver l'une ou l'autre coquille  dans l'une de vos contributions(mais ce serait un hapax, assurément!), je prendrai la peine de vous en faire part.

 

Peut-être aurai-je seulement, en membre moins narquois que vous envers mes confrères bénévoles en écriture, la délicatesse d'user de la fonction "message" du SL, qui nous permet, entre chroniqueurs, d'avoir des contacts plus discrets, partant réellement bienveillants.

 

Vôtre,

 

Frédéric SAENEN

 

 

Je regrette, et je suis sincère, que vous m'ayez mal compris. Ma remarque était en fait un hommage rendu à la qualité de votre prose.

Je m'explique. J'ai commencé à lire votre texte d'un oeil assez distrait, car je n'ai jamais eu une admiration inconditionnelle pour Dewaere. Ses qualités de comédien sont évidemment incontestables, mais il faudra par exemple qu'on m'explique un jour le culte qu'il est bon de vouer à La Meilleure Façon de marcher. Et puis je me suis surpris à dévorer votre papier d'une traite, jusqu'à la dernière ligne, tant il est remarquablement écrit.
Alors, avec la mesquinerie qui me caractérise, il a fallu que je trouve un motif pour me venger d'avoir été ainsi séduit. L'aspiration (ou la non-aspiration) du h de hapax (d'hapax?) prête de toute façon à discussion.
Hapax hominibus de bonne volonté.
Amitiés,

               FAL

PAB

C'est une juste une erreur, corrigée, comme on en fait tous, pas une honte en place publique.  Pas au point d'être forcé d'utiliser la fonction "messagerie" comme si c'était une insulte.

Certains font des drames avec de petites choses.

Jean Guillaume

FAL s'est expliqué à ce propos, pas la peine de revenir dessus :  il s'agissait simplement de sa part d'une correction doublée d'un mot d'esprit qui mettait avant tout en avant les qualités de travail de l'auteur. C'était donc un compliment à son égard.

JUANO DE LAS TESAS

FAL

la meilleure façon de marcher met le doigt sur des jolis sujets je trouve, le concept ridicule de "virilité", l'homosexualité refoulée, les rapports dominants-dominés totalement primaires dans une société qui se revendique pourtant civilisée... tout ceci bien mis en exergue par l'univers "colonie de vacances" parfait pour mettre en avant le fait qu'on peut avancer en age et reculer pour tout le reste comme disait si bien Georges Perros. Dewaere y incarne une brute, un macho insupportable, il s'est encore une fois mis en danger en interprétant ce "Marc" opposé en tous points a l'idée que se fait le public d'un personnage attachant. de plus Claude Miller n'était a l'époque (1975) pas un réa confirmé comme il l'est aujourd'hui. c'est un film qui parle de choses importantes avec des petits moyens mais qui s'en sort bien je trouve. Dewaere a souvent joué dans des films a la réalisation minimaliste (qui ne vieillit pas toujours idéalement c'est vrai) j'aurai rêvé de le voir entre les mains d'un Scorcese Par exemple (si il y avait eu son équivalent français) mais malgré ça, je fais partie de ceux qui sont restés scotchés par sa présence et son talent en découvrant "série noire" "coup de tete" "adieu poulet" ou encore " beau père" les émotions qu'il éveille en nous sont incroyables. j'ai hâte de dévorer ce roman et de passer ainsi une journée avec Patrick le fauve. :)

k.koi

Très beau style ! Vous avez l'art de présenter ce roman, sans trop en dire, tout en nous mettant l'eau à la bouche. Bravo !