"Une histoire mondiale de la France" contre le roman national


Sous la direction de Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, 122 historiens revisitent l’histoire de France en l’éclairant à travers ses rapports avec le reste du monde. Comment le monde a fait la France ? Que doit la patrie de Voltaire à l'étranger ? Que nous révèle le décentrement géographique sur nous-mêmes ? Avec 146 dates choisies, la plupart familières et certaines méconnues du grand public (comme l'arrivée des Gaulois au Sénat de Rome en 48), ce projet est assez osé et avouons-le engagé dans le contexte actuel du débat si vif sur le récit national, un des enjeux étonnants, certains diront identitaires, de la présidentielle française.


Ce détour par l’étranger permet de décentrer l’histoire de France, voire de déconstruire certains mythes comme « 732 » ramenée à une banale affaire de razzia parce que… la Bataille de Poitiers n’aurait pas eu lieu. Vercingétorix est une figure construite pour les besoins de la propagande du Second Empire puis de la IIIe République alors qu’historiquement la Bataille d’Alésia s’inscrit dans un territoire largement « soumis » à la puissance de Rome qui engagerait selon l’historien Yann Potin une « opération de police » plutôt qu’une « conquête ».


Chronologique (il commence par la Grotte Chauvet en 34 000 avant notre ère pour désarmer "le piège des origines" par le rappel des migrations et se termine par les attentats en 2015 et le retour du drapeau tricolore), cet ouvrage collectif à la fois « savant sans être académique », facile de lecture (cinq pages maximum par date) et sans notes, veut atteindre un large public pour répondre selon Patrick Boucheron aux succès, en librairie et sur les réseaux sociaux, des lectures réacs du récit national qui ne feraient pas "l'histoire" au sens scientifique du terme.


Si beaucoup chez les historiens comme Jean-Pierre Rioux ou dans la presse ont salué une « histoire globale » qui renoue avec l’école des Annales de Marc Bloch et Lucien Febvre dans les années 1930, le livre a aussi fait réagir les contempteurs de « l’histoire connectée » ou « transnationale » qui s’inquiètent qu’une étape supplémentaire de la déconstruction du « roman national » ait été franchie comme le chroniqueur au Figaro Eric Zemmour pour qui la somme de 800 pages participerait à la dissolution de la France.


Pour prolonger la réflexion, on souhaiterait renvoyer à l’émission de télévision La Grande Librairie (lien ICI) qui a opposé dans un débat d’une excellente tenue Patrick Boucheron et le philosophe Michel Onfray. Ce dernier vient de publier Décadence chez Flammarion,  un essai sur la vie et la mort de l’Occident judéo-chrétien. Deux visions diamétralement opposées sur l’avenir de la France. Symphonie contre requiem.

Vous voilà donc prévenus. À vous désormais de vous faire une opinion !


Sous la direction de Patrick Boucheron, Histoire mondiale de la FranceLe Seuil, 800 pages, 20,99 €.

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.