Osez les bannis de la République des Lettres

Angie David est une jeune éditrice qui n’a pas froid aux yeux, à la tête de la maison Léon Scheer depuis 2013, on lui doit quelques beaux OVNI dont la dernière livraison ira piquer les baudruches de la bonne – et unique – pensée qui nous rasent matin et soir avec leurs balivernes et leur suivisme de bon aloi… Rien de tout cela ici : 350 pages pour (re)mettre en lumière le principe fondateur de la littérature – et toute forme d’art – qui n’a donc rien d’un plan B, même si Raphaël Enthoven tente de noyer le poisson en justifiant la énième niaiserie d’Angot en citant Simone de Beauvoir : On ne naît pas écrivain, on le devient, à mesure qu'on apprend à échouer. Car on peut y opposer l’avis contraire, que m’ont développé Edmonde Charles-Roux et Howard Buten voilà vingt-cinq ans après avoir lu mon premier manuscrit : On est ou on n’est pas écrivain ; quand tu as le don tu dois ensuite le travailler ; mais si tu ne l’as pas rien n’y fera, tu ne seras jamais un auteur…
Il en est donc ainsi pour tout artiste, et cela dérange à notre époque où tout est nivelé, ou tout se vaut et où l’échec est inadmissible, donc même si tu es un dessinateur minable, un écrivaillon médiocre mais que tu sens en toi que tu es le meilleur peintre ou écrivain du monde, alors tu as le droit de te pavaner ici et là en étalant ta merde, n’est-ce pas messieurs Koons et Moix, pour ne citer que les pires exemples qui me viennent à l’esprit ?

Il y a bien cette Nature qui distribue selon ses caprices le don de la musique à Mozart – et surtout pas à Grand Corps Malade ou Pascal Obispo – et le don de l’écriture à Pasolini, Handke, Millet – et surtout pas à Marc Lévy ou Guillaume Muso. Voilà donc des écrivains, des penseurs, des essayistes habités par cette irrépressible pulsion de vérité – mais laquelle ? –, de quête de sens, de désir spirituel, œuvrant à ce dessein du questionnement incessant, du témoignage permanant pour obliger à la réflexion et éviter les dérives. Autant dire qu’ils font profession d’emmerdeurs ! Le système va donc se charger de les nier, de les détruire, de les rendre invisibles.

Entrés en dissidence malgré eux, victimes d’un lynchage social et/ou médiatique, certains se sont retrouvés devant les tribunaux, exclus de l’institution, rejetés de toute part pour avoir osé briser l’omerta, aborder un sujet épineux… Il ne fallait pas, Simon Leys, démonter le mythe du gentil Mao – vous contraignant à faire carrière en Australie et à ne plus jamais mettre les pieds en Chine après la trahison de Michèle Loi qui publia votre véritable nom, vous fermant de facto les portes de l'Empire du milieu –, il ne fallait pas, Renaud Camus, aborder le sujet de l’immigration de masse et évoquer le grand remplacement – vous obligeant à vous autoéditer après avoir été publié chez P.O.L –, il ne fallait pas, Marc-Edouard Nabe, dénoncer l’impérialisme occidental et rêver d’une réconciliation entre les peuples au lendemain du 11-Septembre – vous renvoyant à inventer l’anti-édition –, il ne fallait pas, Richard Millet, s’attaquer à la dérive de la littérature française (ah ce Babyliss de Kerangal, quel régal !) – vous désignant comme l’ennemi public numéro un, et nous démontrant dans cette fameuse pétition menée par Annie Ernaux toute la saloperie que représentent certains ténors du milieu, avec Le Clézio en porte-étendard drapé dans son Nobel qui a, lui aussi, trempé dans cette vilenie digne des plus beaux anathèmes nazis –, il ne fallait surtout pas, Peter Handke, douter de la justesse de la guerre en Yougoslavie et dénoncer les victimes innocentes – même si désormais il s’avère que vous aviez raison puisque la Serbie se prépare à déposer plainte contre l’OTAN dans un silence médiatique assourdissant ; vous démontriez une fois encore que l’écrivain est un prophète qui sait lire mieux que quiconque entre les lignes et deviner ce qui est tapis dans l’ombre. Ainsi vous voilà, vous aussi, en 2006 victime d’une fatwa lancée par ce rat d’Olivier Py qui en profitait certainement pour régler des comptes personnels tant la charge est injuste et truffée de contre-vérités ; Olivier Py qui voulait faire carrière – et dont le talent n'arrive pas au dixième d'Handke –, encore un nul qui n’avance que par ses jeux de cour… et saute sur l’occasion pour éliminer un rival sous de faux prétextes !

Rageante lecture, révoltante impression de dégoût à dévorer ce recueil d’articles qui signalent combien Pasolini, Dantec, Houellebecq, Debord, Dominique de Roux ou Jean-Michel Michéa furent sacrifiés sur l’autel de la bêtise, car il n’y a pas d’autre nom pour évoquer ces destins brisés par la meute des médiocres qui sont aux commandes.
Plongez tête baissée dans ces chroniques et courez chez votre libraire ou sur Internet pour commander les ouvrages de ces messieurs qu’il faut avant toute chose LIRE ! On ne peut jamais évoquer un auteur – et encore moins le juger – sans l’avoir lu. Souvenons-nous des affaires passées, de celle contre Martin Scorsese et son film La dernière tentation du Christ, une œuvre extraordinaire qui a conduit à un attentat dans un cinéma à St-Michel (quatorze blessés) et une interdiction de projection à Aix-en-Provence, un déferlement de haine dans la presse avec notamment cet article du Point qui parlait de scènes… qui n’existaient pas !

Détruire une œuvre, un homme en quelques mots est très facile dès que vous avez la caisse de résonance – souvenez-vous d’Isabelle Adjani en pleurs au journal de TF1 venue se justifier qu’elle n’avait pas le sida, ou Dominique Baudis en transpiration au même journal pour tenter de nier les accusations (fausses) émises contre lui par des voyous et des prostituées. Quid du Point qui a conduit à attiser les fous de Dieu, quid de Karl Zéro qui a conduit à charge ses émissions contre Baudis allant jusqu’à corrompre des témoins ? Ils sont toujours là…
Donc méfiance à crier avec les chiens de garde

François Xavier

Angie David (sous la direction de), Réprouvés, bannis, infréquentables, Léo Scheer, mars 2018, 350 p. - 20 €

2 commentaires

Angie David a réuni un excellent casting d'infréquentables. Je relis "La confession négative" de Richard Millet, un des plus grands livres de guerre de l'histoire des lettres françaises. 

PS : Ces écrivains sont lus et discutés, c'est ce qui compte.