Chronique de Stéphane et Céline Maltère, écrivains et frère et soeur.

F. Scott Fitzgerald, Je me tuerais pour vous : Quelques pépites

On connaît généralement assez peu la carrière de nouvelliste de F. Scott Fitzgerald, rendu célèbre par son roman Gatsby le Magnifique. Pourtant, grâce au cinéma, le grand public connaît l’un de ses Contes de l’âge du jazz, mis en scène en 2008 par David Fincher : « L’Étrange histoire de Benjamin Button », publié pour la première fois dans la presse en 1922.

La carrière de Fitzgerald s’étend de 1920 à sa mort, en 1940, et c’est de ces années-là que datent les dix-huit nouvelles inédites qui composent Je me tuerais pour vous (Grasset, 2017), représentatives du talent de Fitzgerald, de ses faiblesses et de ses facilités. La postface d’Anne Margaret Daniel éclaire le contexte d’écriture de ces textes publiés ici sans indication de date.

Avant tout romancier, Scott Fitzgerald a toujours alterné la publication de romans avec celle de nouvelles, qu’il faisait paraître dans la presse américaine avant de rassembler les meilleures dans des recueils qui connaissaient à peu près toujours un assez bon succès (Garçonnes et Philosophes, Tous les jeunes gens tristes). Mais en vingt ans, contre plus de cent cinquante nouvelles, il n’a su écrire que quatre romans – Loin du Paradis en 1920, Beaux et Damnés en 1922, Gatsby le Magnifique en 1925 et Tendre est la nuit en 1934 –, trop occupé à écrire à la chaîne, et pour des raisons principalement alimentaires, des histoires qu’il parvenait à vendre jusqu’à 4 000 dollars l’une – un montant ahurissant équivalant aujourd’hui à plus 45 000 euros ! Cet argent, qui glissait entre ses doigts et ceux de sa femme Zelda, devait lui assurer les conditions matérielles et de nécessaire tranquillité pour concrétiser ses grands projets romanesques. Mais l’énergie qu’il met dans ses nouvelles le rend incapable ensuite du moindre travail constant, d’autant qu’il mène une vie dissolue avec Zelda, qu’il sombre dans l’alcoolisme et s’endette encore et toujours.

Par ses textes brefs, il satisfait une attente immédiate du public qui lit la presse et qui attend des « histoires à la Fitzgerald ». Il enferme donc son inspiration dans des contes amoureux qui rappellent son premier succès, Loin du Paradis, et plus encore peut-être Gatsby le Magnifique, au cœur de la bonne société américaine.

Parmi les dix-huit textes inédits de Je me tuerais pour vous, traduit par Marc Amfreville, on compte deux scripts pour le cinéma – qui datent de l’une des trois périodes passées à Hollywood, probablement celle qui débute en 1937. L’écriture d’un scénario n’ayant pas grand-chose à voir avec la composition d’une nouvelle, il est dommage de voir figurer ces textes, « Chaussons de danse » et « Les peines de l’amour », littérairement faibles et offrant un enchaînement d’actions qui auraient mérité de sérieux développements. « Une femme à la mer » se présente aussi comme un script, mais c’est par pur artifice, car le texte est travaillé comme une nouvelle, et l’idée qu’il développe, de cette jeune fille à ce point impossible à marier que son père est contraint de faire appel à une agence de publicité, se lit avec plaisir.

Une autre bizarrerie du recueil réside dans la présence de deux nouvelles quasi identiques (« Rendez-vous chez le dentiste », version alternative de « Pouces levés »), se déroulant toutes deux au cours de la guerre de Sécession, la seconde étant, par ailleurs, meilleure que la première.

Je me tuerais pour vous est représentatif de la qualité inégale des nouvelles de Fitzgerald. Reposant souvent sur de bonnes idées – celle de Sam et Mary, qui, pour parvenir à se supporter après leur mariage, décident de se donner un jour de « congé d’amour » par semaine (« Congé d’amour »), celle de ce père qui intercepte par erreur une lettre salée adressée à son fils (« Salut à Lucy et Elsie »), celle encore de cette actrice qui s’éprend peu à peu d’un comédien qui a la réputation de faire se suicider ses petites amies (« Je me tuerais pour vous »). Mais souvent l’histoire tourne court ou s’enfonce dans des chemins de traverse qui font perdre le fil et s’éteindre la curiosité.

« Reconnaissance de dette », la plus ancienne des nouvelles, est sans doute aussi la plus réussie : elle raconte la mésaventure d’un éditeur vénal qui a trouvé le bon filon en publiant le livre d’un homme communiquant avec son neveu mort à la guerre. Son bonheur bascule le jour où il croise, dans le train qui le conduit chez son auteur à succès, le neveu, en pleine santé et bien décidé à en découdre…

« Cauchemar » est également très réussie, traitant de Peter Woods, débarquant dans un hôpital psychiatrique, craignant que la folie de ses trois frères internés ne soit héréditaire… Mais les fous ne sont pas ceux qu’on croit.

Dans ce recueil, on croise encore Chris Cooper, un scénariste d’Hollywood en immersion parmi des vagabonds (« Voyager ensemble »), Ethan, un chauffeur de taxi inexpérimenté qui transforme le séjour à New York de la jeune Gwen en incroyable aventure (« La perle et la fourrure »), Polk Johnston, un patient récalcitrant qui refuse de retirer ses chaussettes (« Dans l’œil du cyclone »), Emmet Monsen, qui vit un enfer depuis que son médecin a reçu les résultats de son électrocardiogramme (« Les femmes de la maison »), et un couple de domestiques envahissants et tyranniques… (« Le couple »)

Tout n’est pas bon dans ces nouvelles, et l’on comprend qu’elles aient pour la plupart été refusées par les journaux de l’époque, mais elles n’ont pas connu les révisions et les réécritures que Fitzgerald imposait à la plupart de ses textes. On y trouve cependant quelques pépites, et l’on replonge avec plaisir dans la belle écriture de Fitzgerald, dans ses facéties, son incroyable capacité d’invention et son goût du dialogue.

Stéphane Maltère

F. Scott Fitzgerald, Je me tuerais pour vous et autres nouvelles inédites, traduit de l’anglais par Marc Amfreville, Grasset, 2017, 480 pages, 23 €

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