Chronique de Stéphane et Céline Maltère, écrivains et frère et soeur.

Pierre Benoit mène l’enquête !

La mode est à l’exofiction !

La recette paraît simple : on choisit une personnalité (Voltaire pour Frédéric Lenormand, Eugène Sue pour Paul Vacca, Cendrars et Satie à la recherche de Cocteau pour Jean-Paul Delfino, etc.) qui devient le personnage principal d’une fiction exploitant de préférence une zone d’ombre biographique. L’on crée ainsi un double plus vrai que nature, rendant très mince la frontière avec le réel vérifiable. Il faut pourtant une certaine maestria pour réussir l’exercice. Les principaux dangers sont de ne pas être à la hauteur du personnage, de ne pas en saisir la vérité et de décevoir les spécialistes…

Hervé Gaillet vainc ces périls et offre, avec Derrière les lignes (Alterpublishing, 2017), une œuvre enlevée et astucieuse. Le personnage qu’il a choisi n’a pas la notoriété des derniers héros de l’exofiction. Plus exactement, il n’a plus cette notoriété. Car Pierre Benoit – c’est de l’auteur de L’Atlantide dont il est en effet question – a été le romancier le plus en vue de l’entre-deux-guerres, celui qui pulvérisait les records de vente, qui alimentait théâtres et cinémas par l’adaptation de ses romans et qui attirait à lui les femmes et les journalistes.

Pour inaugurer le centenaire de la publication de Kœnigsmark, le premier roman de Pierre Benoit, Hervé Gaillet, a choisi de le mettre en scène dans un récit policier savoureux. L’histoire est simple : on confie deux enquêtes à TSF, l’inspecteur Théophile-Stanislas Fortalembert, réputé pour son flair au 36 quai des Orfèvres.

La première affaire s’est produite à Borneville-sur-mer, en Seine Inférieure : Paul de Valenville et son ami Grégoire Grimaud ont pris la mer un jour d’orage et leur bateau a disparu. Le lendemain, Grégoire est retrouvé mort, défiguré par la mer furieuse qui a rejeté son corps sur la plage. Paul est introuvable ; sa femme Astrid quitte donc Borneville pour Paris. Mais voilà que, neuf mois plus tard, il réapparaît miraculeusement et s’installe avec elle dans leur appartement parisien. Ce retour inattendu met la puce à l’oreille de la police qui décide de procéder à quelques vérifications…

La seconde affaire est plus inquiétante : un tueur en série sévit dans Paris. Chacun de ses meurtres est accompagné d’un poème annonciateur d’un nouveau crime. Le plus étonnant, c’est que ces vers – de mirliton – font tous référence à des lieux tirés de romans… de Pierre Benoit. L’auteur à succès compte parmi ses admiratrices la femme de TSF. C’est elle qui, par hasard, met son mari sur la piste de l’auteur de L’Atlantide. Pierre Benoit serait-il l’assassin recherché par la police ? Sa réputation scandaleuse de champion de coups publicitaires ne joue pas en sa faveur… Très vite, l’écrivain est mis hors de cause. En consultant, il collabore à l’enquête : on cherche en effet dans ses œuvres les prochains lieux des crimes. Il devient même un redoutable enquêteur, sous le nom de Ferdinand Fraisse.

Les deux intrigues ne tardent pas à se mêler, menées par une narration vive qui conduit le lecteur à ne plus lâcher ce roman de plus de quatre cents pages. Qu’on connaisse ou non Pierre Benoit n’a guère d’importance. Ceux qui l’aiment et le lisent auront le plaisir d’y retrouver les lieux parisiens qu’il fréquentait (le restaurant Polidor, les éditions Albin Michel, etc.) autant que ses romans, dont Hervé Gaillet donne une genèse imaginaire et malicieuse. Ceux qui le découvriront à l’occasion de ce roman y verront un personnage sympathique et bonhomme et, intrigués par les références aux romans, auront à coup sûr envie de les connaître.

Les personnages de Derrière les lignes sont en outre bien campés : on croit en eux dès le début et, au fur et à mesure de l’histoire, ils deviennent attachants et familiers. Les dialogues manquent parfois de naturel et, en voulant trop dire, ralentissent l’action et empêchent une narration plus dense et maîtrisée. Leur affectation et leur lourdeur s’effacent cependant quand l’auteur, pleinement possédé par son sujet, nous entraîne avec lui dans son récit.

Hervé Gaillet tient là des personnages en or, TSF et Pierre Benoit en tête. Il sait construire brillamment une intrigue policière, ménageant des surprises, entretenant le mystère. La vie tumultueuse de Pierre Benoit, ses zones d’ombre, donneront, on l’espère, une suite à Derrière les lignes. La fin du roman, laissant Pierre Benoit à bord du paquebot qui le conduit au Japon, en serait le point de départ idéal…

Ce livre réjouissant a obtenu le Prix Alterpublishing 2017.

 

Stéphane Maltère

 

Hervé Gaillet, Derrière les lignes, AlterPublishing, 2017, 448 pages, 21 €

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