Chronique de Stéphane et Céline Maltère, écrivains et frère et soeur.

Dépits et rendez-vous manqués : Dernière valse à Venise de Stéphane Héaume

Quand on ouvre un livre de Stéphane Héaume, une portée musicale nous invite à accompagner notre lecture d’une bande originale. On pénètre dans Le Clos Lothar (Zulma, Prix Jean-Giono 2002) par l’envoûtante île des morts de Rachmaninov. La Nuit de Fort-Haggar (Seuil, 2009) est traversée des lointains échos de la symphonie tragique de Mahler. Benjamin Britten, Max Bruch, Sibelius, Prokofiev… autant de noms familiers de l’univers musical de Stéphane Héaume, auteur des livrets de quelques œuvres de Richard Dubugnon et des Miroirs de la ville de Gérard Billaudot et Thierry Escaich.

C’est au son de la Passacaille et fugue en do mineur BWV 582 de Jean-Sébastien Bach, une œuvre pour orgue, que Stéphane Héaume nous invite à sa Dernière valse à Venise (Serge Safran, 2017). Choix étrange, anatopique, décodable par les seuls experts des variations du Cantor de Leipzig.

Dernière Valse à Venise est construit en trois temps : le "roman" qui donne son nom au livre, une "Note de l’auteur", suivis d’un texte bref, "Ora fatale", écrit à l’origine pour l’Opéra Bastille, dans le sillage du Don Carlos de Verdi qui s’y joue (du 10 octobre au 11 novembre 2017).

L’unité de ce triptyque est assurée par une femme, Dorothy White, personnage inspiré par l’actrice Dorothée Blanck à qui le livre est dédié. Femme masquée, femme fantôme, Dorothy apparaît d’abord au narrateur de la première histoire à la terrasse d’un café de Venise, vieille femme, encore belle et désirable. Rodolfo, qui a appris qu’il ne lui restait que sept mois à vivre, s’enivre pour oublier qu’il va mourir : "Ce n’était pas la beauté défraîchie, mais encore décelable qui l’attirait ; ce n’étaient pas les mille vies enfouies derrière ces yeux absents, sans doute passionnantes, ni le mystère de son apparente mais rayonnante simplicité. C’était, peut-être, qu’ils parvenaient l’un et l’autre au terme de leur parcours."

L’ivresse du septième verre le conduit au mensonge : qu’a-t-il à perdre à s’inventer une vie et à dépenser, au cours des sept jours du voyage de la belle solitaire, tout l’argent qui lui reste ? Il sera Rodolfo Marchanti, ténor à la Scala, passionné de danse et d’opéra. Par un heureux hasard, Dorothy a elle-même été danseuse ; elle accepte de rejoindre, chaque soir de la semaine qu’ils vont partager, la loge de Rodolfo à la Fenice. D’elle, il ne connaît que l’épisode tragique qui l’a conduite à retrouver, après tant d’années, la Venise où son amour de jeunesse est enterré. De lui, elle n’imagine pas qu’il met sa vie entière dans cette histoire dynamisante, régénérante et salvatrice. Par elle, il recouvre la santé, mais, absente à leur dernier rendez-vous, elle le laisse en proie au plus terrible des dépits amoureux.

Ce court roman est une valse à cinq actes qui entraîne ses protagonistes dans un mouvement exaltant, les conduit, par cercles successifs, dans les décors du drame et laisse, à la fin de la danse, le cavalier seul au milieu d’une place de Venise… Le lecteur, lui, est porté par le style précis et élégant de la prose de Stéphane Héaume.

Le texte qui suit Dernière valse à Venise est une "Note de l’auteur" dans laquelle Stéphane Héaume explique la naissance de son roman, sa rencontre manquée avec Dorothée Blanck, une actrice oubliée, aperçue chez Varda, Demy, Resnais, Vadim ou Godard.
Le livre s’achève par "Ora fatale", variation sur le même thème. On retrouve Rodolfo, exilé en Amérique latine, en homme vieillissant qui n’a pas fait le deuil de sa relation inaboutie avec Dorothy. Rongé par sa mort et par la désillusion, il a organisé, à l’attention de la petite-fille de son amour perdu, un concert qu’elle est censé écouter du pont du paquebot qui l’amène, pour une tournée lyrique, en Amérique du Sud.
"Elle entendra chanter ma tristesse et mon amour intacts", pense-t-il, avant que l’heure fatale ne vienne contrarier ses projets.

Dernière valse à Venise n’a qu’un seul défaut : sa brièveté nous prive du plaisir d’entrer durablement dans l’univers de Stéphane Héaume et d’en savourer longuement l’écriture…

 

Stéphane Maltère

 

Stéphane Héaume, Dernière valse à Venise, Serge safran éditeur, octobre 2017, 159 pages, 14,50 €

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