Chronique de Stéphane et Céline Maltère, écrivains et frère et soeur.

L’Enfer est vide pour Walt Longmire, le shérif de Craig Johnson

Prenez le plus dangereux criminel des États-Unis – Raynaud Shade –, placez-le dans le massif des Big Horn Mountains, un contrefort des Rocheuses, préparez la tempête de neige du siècle et faites-le alors s’évader. Ajoutez-y la malchance qu’il dépende de la juridiction du plus tenace shérif du Wyoming, Walt Longmire, et vous aurez un des meilleurs polars écrits par Craig Johnson, l’auteur de Little Bird, du Camp des morts, de Dark Horse et Molosses, pour n’en citer que quelques-uns.

Tout commence par l’arrestation de trois bandits, Marcel Pope, Hector Otero et Raynaud Shade, que Longmire et son adjoint basque Saizarbitoria sont chargés de transférer. En chemin, au point de jonction des comtés de Big Horn, Washakie et Absaroka, ils croisent des fédéraux, des policiers de la réserve indienne et les shérifs des deux autres territoires. Les agents du F.B.I. isolent Shade, qui les conduit à un rocher, situé sur le comté d’Absaroka, celui de Walt Longmire. Ce sera donc son affaire.

Sous la pierre, Shade a dissimulé les ossements d’un garçon indien de 7 ans, Owen White Buffalo, disparu depuis dix ans. Walt connaît son grand-père, Virgil White Buffalo, un colosse arrêté par le shérif dans un autre épisode de la série, Enfants de poussière (Gallmeister, Totem, 2014). Depuis son arrestation un an plus tôt, Virgil semble vivre en ermite dans les montagnes. Le F.B.I. se charge du transfert de Shade, un schizophrène qui a juré la mort du shérif et qui entend les voix des « Presque Invisibles ». Longmire et son adjoint peuvent donc regagner les plaines du Wyoming, avant que la tempête de neige qui s’annonce ne les empêche de poursuivre leur route. Mais, en mangeant un sandwich préparé pour les prisonniers par une certaine Beatrice Linwood, Walt découvre une clé. Il comprend que Shade, aidé par une semblable trouvaille, a dû se libérer de ses menottes. Son pressentiment est vérifié quand il constate que Shade s’est enfui, emportant avec lui des otages…

Walt Longmire débute alors, seul, la traque de Raynaud Shade. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est qu’il va s’enfoncer, par cercles concentriques au cœur de la montagne, dans l’enfer froid des Big Horn Mountains, les plus hautes du Wyoming, dont le sommet, point d’orgue de cette aventure policière, cumine à plus de 4 000 mètres. Dans le maigre bagage que lui a préparé son adjoint, Walt a emporté deux armes, un sac de couchage et L’Enfer de Dante, que Saizarbitoria, soucieux de combler ses lacunes littéraires, est en train de lire sur les conseils de Ruby, la secrétaire du bureau du shérif.

Au cours de sa chasse à l’homme, Walt, que Craig Johnson, de livre en livre, ne craint pas de cabosser, affronte une terrifiante couguar, un homme étrange à la peau d’ours, un incroyable incendie, sans compter le froid glacial des hauteurs, les balles de Shade et les esprits des indiens de la montagne.

Comme d’habitude, la narration est menée à la perfection. Les chapitres s’achèvent souvent au sommet du suspense, rendant impossible au lecteur tout fuite vers d’autres activités. Craig Johnson écrit bien, il aime la littérature et s’amuse des références. Dans Tous les démons sont ici, au titre emprunté à la Tempête de Shakespeare, les renvois à Dante sont permanents et ajoutent un attrait supplémentaire à la lecture. Walt Longmire, par sa solidité, est un héros qui nous conduit en confiance vers les plus terribles dangers. À la différence des autres récits de la série « Walt Longmire », le shérif, cette fois-ci, est seul dans la majeure partie de l’histoire, confronté aux éléments, aux âmes des morts et à la menace funeste de Raynaud Shade. Il ne peut compter ni sur son ami cheyenne Henry Standing Bear, ni sur son adjointe au langage fleuri Vic Moretti, dont on a quelques nouvelles sporadiques quand les téléphones satellitaires peuvent enfin fonctionner.

Quelques passages sont particulièrement marquants dans Tous les démons sont ici, comme les retrouvailles de Longmire avec Virgil White Buffalo, cette force de la nature qui établit le lien entre le monde des défunts et celui des vivants. Le récit de l’incendie des arbres morts, également, est spectaculaire et haletant, laissant aussi peu d’air au lecteur qu’au héros lui-même, et la fin, dans le jour blanc presque irréel du sommet des Big Horn Mountains, montre le face-à-face tant attendu entre Shade et le shérif, s’achevant dans le sang et la glace.

Excellemment traduit par Sophie Aslanides, Tous les démons sont ici, huis clos, tragédie en 17 chapitres, est sans doute le plus achevé des polars de Craig Johnson, le plus fort et le plus passionnant. En attendant le prochain…

Stéphane Maltère

Craig Johnson, Tous les démons sont ici, traduit de l’anglais (américain) par Sophie Aslanides, Policier Points, juin 2017, 408 pages, 7,80 euros.

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