Chronique de Stéphane et Céline Maltère, écrivains et frère et soeur.

Ainsi philosophait Amélie Nothomb de Marianne Chaillan : Sous un autre angle

Sous le chapeau d’Amélie Nothomb se cachent des idées folles, des noms étranges, tout un monde littéraire qui n’a pas cessé de charmer ses lecteurs depuis plus de vingt-cinq ans. Mais qui y aurait soupçonné la présence des plus prestigieux philosophes ? Marianne Chaillan, professeur de philosophie et lectrice d’Amélie Nothomb, propose un jour de donner à cette mère de tant de livres un petit-enfant. Pour concevoir ce rejeton, elle s’offre de visiter l’œuvre de l’écrivaine belge à la lueur des grandes idées philosophiques.

L’histoire commence comme au Pays des Merveilles. « Ouvrez les yeux, Amélie. ». Elle se réveille dans une pièce où trônent des livres de ses auteurs préférés : Rilke, Stendhal, Nietzsche. En tendant l’oreille, elle entend un air de nô, comme sait le chanter son père ; et, au moment où elle songe qu’il ne manque plus qu’une coupe de champagne à son bonheur, elle voit posée sur la table une « bouteille du meilleur Dom Pérignon ». Arrive alors une jeune femme en larmes : c’est Plectrude ! Le lecteur reconnaît tout de suite l’un des prénoms les plus célèbres de l’œuvre nothombienne, celui qu’elle a donné à son héroïne de Robert des Noms propres. En discutant avec elle, Amélie apprend qu’elle est ici parce qu’elle est… morte ! Elle est dans cette antichambre, ces « limbes », pour attendre l’heure de la cérémonie de répartition. Si tout se déroule normalement, elle devrait rejoindre Marguerite Yourcenar au paradis des écrivains.

Or, un pâle Épiphane, du même nom que le héros d’Attentat, l’attend derrière un bureau pour lui annoncer qu’on ne l’envoie pas là où elle l’imagine, mais au paradis des philosophes. Amélie s’offusque : il y a erreur, elle va faire appel. Et justement, elle peut demander une révision du jugement. Elle se rendra au tribunal où siège Déodat, double en moins laid du personnage de Riquet à la Houppe et sorte de sympathique procureur, qui invitera à la barre des témoins pour parler de l’œuvre philosophique d’Amélie. Le seul inconvénient : elle n’aura pas le droit d’intervenir, juste celui d’écouter.

Amélie s’assoit donc dans la salle et assiste, en buvant du champagne, au défilé de philosophes les plus célèbres, qui viennent montrer les parallèles qui existent entre leurs idées et ses romans. Première à être convoquée, Hannah Arendt développe sa théorie de la banalité du mal : elle explique en quoi Acide sulfurique illustre ce qu’elle a démontré dans Eichmann à Jérusalem. Viendront ensuite, dans le désordre, Sartre, Spinoza, Nietzsche, Rousseau, Hegel, Cicéron… Tous racontent leur lecture d’Amélie Nothomb, et chacun a son ouvrage préféré. Un débat a d’ailleurs lieu entre Cicéron, Spinoza et Sartre sur le roman Le Crime du Comte Neville, où il est question d’une prophétie faite au Comte au début du récit : il tuera, lors d’un bal, l’un de ses invités. C’est l’occasion pour les trois philosophes de débattre du destin, du déterminisme, de la liberté, du stoïcisme…

Le livre, très riche, permet au lecteur de revoir des notions philosophiques et surtout, de se remémorer des moments de lecture : Jankélévitch, auteur de L’irréversible et la nostalgie, redéfinit à travers La Nostalgie heureuse cette notion qui lui est chère ; Hegel développe le rapport qui existe entre un sujet et autrui, en montrant ce qui anime Amélie dans Stupeur et tremblements : le désir de reconnaissance auprès de Fubuki Mori, qui elle-même cherche à être reconnue par ses supérieurs. Heidegger, quant à lui, fait de Ni d’Ève ni d’Adam un essai sur la question du langage.

On relit Amélie Nothomb en assistant à ce procès. On redécouvre, sous un autre angle, ses personnages et ses livres. Marianne Chaillan nous rappelle aussi des anecdotes qui font la légende du personnage Amélie, tel que son duel alcoolique à Talloires, en 2014, avec Yann Quéfellec. Le roman se lit avec plaisir ! Les non lecteurs d’Amélie ne pourront qu’avoir envie de la découvrir après ce livre ; et les autres voudront la relire, elle dont les romans sont faits pour être relus, comme l’affirme Heidegger :

« Amélie Nothomb n’écrit pas seulement pour être lue. N’est-ce pas pour cela que ses textes sont courts ? »

J’aurais aimé que le conte garde sa fantaisie jusqu’au bout, qu’A(mé)lice ne se réveille pas dans notre monde… Mais il faut bien qu’elle revienne pour écrire ses livres, car l’été arrive bientôt ; il déclinera trop vite. Et Amélie sera là, à la fin, telle une « consolation de la disparition de l’été ».

Céline Maltère

Ainsi philosophait Amélie Nothomb, Marianne Chaillan, Albin Michel, février 2017, 216 pages, 17 euros.

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