Macron, traître à la patrie ?

Macron, salaud, le peuple aura ta peau… entend-on de plus en plus dans les défilés, avec en arrière-plan remémoratif, le refrain de la Révolution, Ah ! ça ira, ça ira, ça ira ! / Les aristocrates à la lanterne, / Ah ! ça ira, ça ira, ça ira ! / Les aristocrates on les pendra !
C’est un euphémisme de dire que le pays se crispe (relisons Michelet et son histoire de la Révolution française) : dans les diners en ville de décembre 2018, les grands bourgeois évoquaient l’insurrection qui vient, sans savoir vraiment s’ils jouaient à se faire peur ou s’ils craignaient réellement de finir au bout d’une pique. En toute objectivité, il faut bien avouer que la roue tourne dans le mauvais sens et que le président Macron a bien berné son monde.
Retour sur un homme – et son parcours – dépeint par le plus libre des députés, un homme de conviction et de cœur, un homme vrai comme on en croise peu depuis Clemenceau ou de Gaulle.
François Ruffin nous livre ici, subtilement, un tableau de la France telle qu’elle est : un chapitre sur l’entre-soi macronien, un chapitre sur le peuple réduit à l’esclavage par la pratique d’un libéralisme toujours plus cynique qui pousse les gens à la précarité : là est la véritable violence qui détruit les âmes, là est le vrai scandale quand le peuple se meurt (de faim, de maladie, d’angoisse, etc.), là est le point nodal de l’esprit révolutionnaire qui anime les Gilets jaunes que le gouvernement s’évertue à dénigrer…

Voici la radioscopie d’un pays que Macron ne connaît pas, n’a jamais voulu connaître… Mythomane, menteur, falsificateur, méprisant, l’actuel locataire de l’Elysée se voit confronté avec ses ambigüités, ses tromperies, ses faux-semblants, ses trahisons, sa complicité avec le Capital… Si bien qu’en refermant le livre on se demande pourquoi une procédure de destitution pour haute trahison n’est pas instruite. Sans doute le félon a-t-il quelques moyens de pressions ici et là pour que les procureurs et les juges regardent ailleurs… Pourtant le panorama que dresse François Ruffin est éloquent, sans appel, preuves à l’appui que monsieur Macron n’a jamais défendu l’intérêt national mais toujours favorisé le particulier, le grand patron, le clan, la caste…

Dans cet inventaire à la Prévert, on découvre qu’Emmanuel Macron n’a jamais débuté de thèse avec Etienne Balibar ; et encore moins soutenu (comme l’affirme Libération et Le Monde). Le philosophe, lui, n’a pas de mots assez précis pour commenter cette escroquerie : Je trouve absolument obscène cette mise en scène de sa « formation philosophique », qu’il organise lui-même ou que son entourage organise. Pas plus qu’il n’applique la pensée de Ricœur : Ricœur était sensible à la notion de solidarité. Or, chez Macron, le conservatisme est assimilé à l’archaïsme supposé des acquis sociaux et le progressisme à la flexibilité et à la dérégulation économique. Ce n’est ni un intellectuel ni un homme d’Etat, mais un technocrate, s’insurge la philosophe Myriam Revault d’Allonnes. C’est donc bien un mystificateur : des postures, du vent, aucune pensée propre, le vide sidéral au service du patronat.
Qu’il va servir avec zèle dès qu’il sera ministre de l’Economie : en 2014, il laisse mourir Ecopla sans intervenir (malgré les requêtes des salariés et des élus), société rentable qui a bénéficié d’aides de l’Etat. Puis il offre SFR à Patrick Drahi, favorisant la mainmise des grands patrons sur les médias, intervient pour céder Alstom à GE (permettant au passage à Martin Bouygues de faire une plus-value à plus d’un milliard), etc. Puis il vante l’économie de la disruption, la multimodalité, l’écosystème d’innovation, tout un jargon qui ne sert qu’à nourrir les journalistes quand les ouvriers sont licenciés. Poncifs que l’on retrouvera dans son livre publié pour lancer sa campagne, un tissu de platitudes et de clichés. Par contre, en 2016 (toujours locataire de Bercy), il consomme en huit mois le budget annuel des frais de représentations afin de commencer à faire campagne dans les milieux d’affaire (jusqu’à trois cocktails-dîners dans la même soirée). Puis Bolloré délèguera bénévolement ses hommes d’Havas comme conseillers (en échange de quels services ?)...

Macron est un pur produit du système qui s’est mis en place à l’aune des années 2000-2010 avec l’arrivée des grands patrons dans la presse. Minc, Niel, Pégasse, Rothschild, LVMH, la BNP et Cie achètent toute la presse, ou presque (journaux, radios, tv... ah les ravages de BFM-TV & CNews), ainsi l’opinion est muselée, instruite plutôt qu’informée, manipulée, conditionnée pour accepter l’inacceptable ! Qui se souvient des bases qui érigèrent la presse au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ? L’école du journalisme était issue du Conseil nationale de la Résistance, elle devait enseigner qu’être journaliste c’est assurer la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent et des influences étrangères. Or, aujourd’hui, à l’EFJ, on ne parle que de parts de marché, d’information-marchandise, de marque…
Sont très parlants les retraits de l’antenne d’émissions comme Les mots de minuit ou Là-bas s’y j’y suis, sans doute la seule émission de radio totalement libertaire où chaque session s’ouvrait par l’écoute des messages des auditeurs laissés sur le répondeur, histoire d’avoir le pouls en direct du pays, le ressenti de tous ces sans-dents qu’il ne faut jamais regarder en face.

Le plus drôle, finalement, c’est le côté ridicule de ce mandat. Tout comme le président Sarkozy s’était empressé de crier Je ne vous trahirai pas, le soir même de son élection (ce qui disait déjà tout le contraire – ce qu’il s’empressera de faire en convoquant le Congrès pour s’asseoir sur le Non du référendum sur l’Europe) ; on rit – jaune – de se souvenir que Macron a osé promulguer une loi de moralisation de la vie publique, lui qui est corrompu jusqu’à la moelle, lui qui incarne la corruption, la corruption non pas individuelle, mais la corruption d’un système, pourri, mité, d’une démocratie décrépie, digérée par l’oligarchie, si sûre de sa force qu’elle installe son banquier à l’Elysée ! Macron, avec son entourage, qui n’est fait que de ça, de conflits d’intérêts, de stock-options […] de collusion avec les firmes privées ! Il ose le mot « moralisation »… Qu'est devenue la dignité que confère la fonction de président de la République ? Et la justice qu'il doit incarner, lui sensé être au-dessus de la mêlée pour demeurer intègre...

Au-delà du cynisme, de l’arrogance outrancière de ce gouvernement, de cette présidence hors-sol, il y a un sentiment d’hyper puissance, Macron se considère comme un demi-dieu. Et c’est là que le danger se cristallise car, comme le souligna Hannah Arendt, l’élément redoutable est le détachement, l’indifférence de la part des dominants. Macron se moque des Gilets jaunes comme de sa première chemise ! Il est détaché, ce qui implique un éloignement, qui supprime toute possibilité d’identification… Cela peut entraîner, non pas seulement l’absence de valeur de l’autre, mais l’effacement complet de l’autre, son inexistence.

François Xavier

François Ruffin, Ce pays que tu ne connais pas, Les Arènes, mars 2019, 215 p.-, 15 €

 

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