Jo Nesbø, « … c’est ce que nous laissons derrière nous, quelques anneaux dans l’eau qui sont là un moment et puis disparaissent ».

Présentation de l’éditeur :

Pas évident de partager la vie de quelqu’un quand on est « expéditeur » à la solde de Daniel Hoffmann, l’un des plus gros trafiquants d'Oslo… Mais, lorsque votre patron vous demande d’expédier sa jeune et belle épouse infidèle et que vous tombez amoureux de votre cible, les choses se compliquent singulièrement.

 

Jo Nesbø possède naturellement un avantage certain sur ses congénères du Noir scandinave qui encombre tant les rayons des bibliothèques : son nom est facilement prononçable et il pète sur les couvertures françaises.

Parce que je mets au défi la majorité d’entre nous de se souvenir des meurtres à Siglufjördur ou encore sur l'île de Gråskar dans l'archipel de Fjållbacka. (Pour prononcer, faire le signe international du « tout va bien » des plongeurs, mais la main posée sur le crâne).

Quand j’ai reçu ce service de presse du Salon, j’ai donc un peu râlé, parce que je n’en peux plus du polar scandinave, des taches de sang dans la neige et du flic alcoolo qui ne parle plus à sa femme et ne s’interroge pas d’avoir autant de meurtriers en série dans l’île de Sandham que d’auteurs nordiques chez nos libraires. Ensuite, et cela n’a pas aidé, j’ai reçu le roman dans sa forme originale du grand format de la Série noire de Gallimard, et là, j’ai encore plus pesté. Couverture molle qui rebique en quelques secondes, taille à oublier pour une bibliothèque ou à fourrer au milieu des revues, et un seul avantage : roulé avec un élastique, il est une arme redoutable pour cet espion qui dort en chacun de vous. Je ne parlerai pas du papier à l’aspect économique d’un tirage à compte d’auteur, un véritable scandale pour une collection héritière de Marcel Duhamel, un souvenir cuisant aussi pour moi, parce que je reçus, il y a quelques années, les premières épreuves de mon Genetik Corp, abandonnées dans la même facture.

C’est donc dans cette disposition hargneuse que j’ai commencé la lecture du Sang sur la glace, tout en me souvenant des bons moments passés avec Harry Hole au début de sa série mythique. Hole est le pendant de Bosch pour le Grand Nord. Ils pourraient être jumeaux, tant ils sont tous les deux alcooliques, désabusés, dépassés et finalement franchement soporifiques après dix publications. Je vous présente ainsi cet opus, parce qu’il y a du Connelly dans ce roman, déjà par le ton employé du récit d’un nettoyeur à la solde d’un ponte du trafic de drogue, d’autre part par le soin pris par l’auteur norvégien de faire aimer au lecteur l’insoutenable assassin. Oui, Olav (sans le truc rond sur le O) est un tueur sans sentiment, mais il tombe amoureux sans hésiter et devient incontrôlable quand quelqu’un s’en prend à une femme. Il est ce bon gars qui ne sait pas faire autre chose que d’obéir sans comprendre, il sauve une prostituée est dépense ses économies en secret pour la sortir de la boue, alors, naturellement il tue l’amant au lieu de la cible de l’épouse en croyant ainsi sauver le couple de son patron. Le cadre ainsi monté, vous n’avez pas d’autre choix que de jeter le bouquin au panier parce que vous pensez avoir entre les mains une nouvelle mouture du gentil meurtrier que le doigt de Dieu va toucher pour se sauver de la géhenne éternelle en offrant son âme en échange de celle d’une innocente aux formes pleines.

Ce serait une erreur. L’amant est le fils du commanditaire.

Ce petit roman, une novella de cent cinquante pages, vous prend par la main au moyen de petits chapitres efficaces qui répondent à la loi de la nouvelle qui reste, quand l’auteur est aussi bon, que chaque scène qui se termine a apporté un élément déterminant à l’histoire qui la sort du quelconque, sans jamais se perdre dans le banal.

Le récit à la première personne passe du doux et un peu benêt, en un plan consciencieux pour se sortir de l’impasse, une ingénierie légère, très bien traduite par la langue cultivée de Céline Roman-Monnier. Le texte est ponctué par de jolis mots, des descriptions typiquement dans la veine de ces premiers romans suédois ou norvégiens qui nous avaient tant fait lire au début de la vague scandinave.

« Les restes du chauffeur laissés par l’ours blanc s’étaient révélés russes, et le réservoir du scooter des neiges (…) quatre kilos d’héroïne pure. ». Nul besoin de plus de détails sordides, le lecteur comprend tout.

Ce fut un coup de cœur par le travail d’un scénario qui vous réservera la surprise d’une conclusion digne d’un grand polar, mais aussi par le plaisir que l’auteur a visiblement pris du choix de l’angle de vue qui reste le plus difficile à mener sans tomber dans le pathos et la description sanguinolente. « C’est T.S. Eliot, les garçons, soupira le pêcheur, la solitude du méfiant. Croyez-moi, c’est une solitude que tous les dirigeants ressentent à un moment ou un autre… »

Il y a aussi et surtout la révélation de l’enfant Olav, sa construction dans un monde d’adultes qui lui fait comprendre qu’il n’est pas si étrange que le voient les autres, s’ils comprennent comment il peut rester vivant en jouant un rôle.

Enfin, le décor ; la neige, « le lac où le soleil ne se couche jamais », devient le héros de Jo Nesbø, l’irremplaçable nature qui ne peut être un artifice sans tomber dans la caricature de nombre de romans publiés.

 

Patrick de Friberg

Jo Nesbø, traduction Céline Roman-Monnier, Du sang sur la glace, Série noire Gallimard, 150 pages.

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