Voir et lire le bois

Matériau noble s’il en est, possédant veines, vaisseaux et senteurs, vivant et périssable, le bois se lit à la manière d’un grand livre ouvert par la nature. On parle d’essence à son sujet, et d’espèces comme pour les êtres qui sur terre sont autres que les minéraux millénaires. Mais cette lecture exige des connaissances nombreuses, pointues, une longue pratique des usages, une observation rigoureuse et un vocabulaire spécifique. On s’oriente selon le fil, on distingue aubier et duramen, on scie au bois montant, on compte les cernes. Une lecture qui se fait à deux niveaux, dès que l’œil expert s’adjoint la technique du microscope électronique.
Dans les deux cas, décoder les secrets ligneux est un passionnant exercice qui relie en une longue chaîne les forêts du monde, les grandes voies commerciales, la découpe, la fabrication et la décoration des plus belles pièces de mobilier qui soient.

Car le bois partout exploité fait beaucoup voyager, que ce soit en France, en Europe, dans le monde. Si des noms sonnent connus, le charme, l’amandier, le noyer, le robinier, d’autres invitent au rêve des horizons lointains, tels l’acajou du Honduras, le citronnier de  Saint-Domingue, l’ébène de Macassar, le palissandre de Rio. D’autres noms encore surprennent par leur étrangeté et semblent venus de contrées ignorées, tels le moutouchi, le movingui, le courbaril, le wacapou. Sans oublier leurs transcriptions en latin qui apportent encore plus d’exotisme, Cordia goeldiana, Distemonanthus benthamianus, Pterocarpus macrocarpus !

 

Sur les meubles, finement tranchées, utilisées en placage, incrustées, collées, ces essences se mêlent, s’imbriquent, se marient jusqu’à l’infini et dans une précision inouïe, composant dans des gammes de couleurs toujours harmonieuses des motifs floraux, des arabesques, des animaux fabuleux, des angles savants, des losanges, des paysages et des damiers compliqués. C’est toute une marqueterie qui devient une véritable mosaïque parmi les plus expressives. Des exemples de meubles de collections, allant du XVIe au XIXe siècles, notamment au temps de l’Art nouveau qui est un mouvement où la créativité est particulièrement riche et variée, souvent spectaculaire, sont présentés dans cet ouvrage.
Nouveau voyage au long de l’histoire de l’art de la menuiserie, quand celle-ci s’apparente à une sorte d’orfèvrerie. Pratiquée depuis l’Égypte ancienne, considérée à Florence au temps de la Renaissance comme une peinture sur bois, atteignant un raffinement sans égal au XVIIIe siècle, la marqueterie au même titre que la peinture ou la sculpture, ses grands artistes qui signèrent des meubles d’une valeur insigne, André-Charles Boulle, Jean-Henri Riesener, Charles Cressent, Jean-François Œben, suivis par la suite par d’autres créateurs tout aussi remarquables, appartenant entre autres à l’école de Nancy, Émile Gallé et Louis Majorelle, puis encore par Jacques Grüber et Jacques-Émile Ruhlmann, épris des formes pures, sveltes, finement rythmées, il goûtait amoureusement, presque sensuellement ces précieuses matières qu’il harmonisait à l’extérieur, comme à l’intérieur de ses meubles (René Chavanne).

Les meubles repris dans ces pages montrent jusqu’à quel degré de qualité ces assemblages de bois pouvaient arriver, parfois dans des stylisations aussi rigoureuses qu’harmonieuses : clôture de chapelle fin XVe, stalles de 1550, cabinet en armoire de 1680, secrétaire dos d’âne de 1750, table de brelan et armoire-bibliothèque, médailler et desserte autour de 1900, toutes les formes se prêtant à ces subtils jeux décoratifs.

Comme pour quelques autres métiers qui ont partie liée avec l’art, cette succession de savoirs est transmise de famille en famille à la manière d’un héritage de valeur, avec respect et fierté. La tradition des "overiers" du XIIe siècle, ces descendants de l’operarius latin, celui qui fait, se perpétue encore dans quelques rares lieux. Ingénieurs du bois, experts reconnus, professeurs, photographe, avec les quelques 80 essences présentées et décrites dans les illustrations, les auteurs de cet ouvrage, il faut le reconnaître d’une technicité évidente, mettent au service du lecteur une grande clarté d’analyses et de visualisation, ce qui donne à sa lecture le plaisir de la découverte, ce qui ainsi, n’est pas réservée aux seuls spécialistes du bois.   

 

Dominique Vergnon

Patrick George, Emmanuel Maurin, Marie-Christine Trouy-Jacquemet, Dominique Bouchardon, L’essence du bois, 500 illustrations, 195 x 245, Les éditions du patrimoine, octobre 2020, 280 p.-, 59 euros (80 euros après le 1er février 2021) 

Aucun commentaire pour ce contenu.