Sandrine Willems, Carnets de l'autre amour : Aimer les fous, aimer les autres

Alors qu'il est un peu ardu, difficile, plein d'aspérités, on a du mal à ne pas dévorer ce livre. Par curiosité, d'abord : l'auteure parle de sa pratique de « psy », en institution, dans des ateliers théâtre, dans des entretiens avec les « patients », dans des rencontres, et bien sûr quelques anecdotes, à elles seules, justifieraient que l'on acquière ce livre.

Mais au moment où l'on craint de tomber dans une antipsychiatrie bien-pensante, on est surpris : cette psychologue – cette femme – avoue tout : elle vit pour ce travail, et par ce travail. Elle a besoin des fous. Elle les aime. Elle vit avec eux, réfléchit avec eux et, même si parfois elle est cruellement déçue de les voir retomber dans leurs manies, leurs éternelles tentatives de suicide et leurs fatigants délires, elle s'aperçoit qu'ils lui apportent quelque chose, peut-être aussi un cheminement, avec ses exigences et ses chutes. Le propos n'est pas nouveau, mais il est ici d'une sincérité absolue.

Peu à peu, en notant ses découvertes, les propos des uns, les citations des autres, elle constate que son travail l'a fait considérablement grandir, au point de se poser des questions d'ordre métaphysique et mystique : qui est fou ? Qu'est-ce que la folie ? Les soins, les thérapies sont-ils des formes de l'amour ? Suis-je aussi folle que les fous, puisque je me consacre à eux ? Suis-je comme elles et eux capable de m'abandonner ? Oserais-je passer de l'autre côté ?

Entre l'art, la vocation religieuse et la thérapie, l'auteure admet : « Écartelée entre deux vocations, me vouer à un être ou me vouer à Dieu, je dus trouver dans mon travail de psy une manière de les concilier. »

Au début de l'année 2013, le feu pénètre dans la maison de l'auteure. Son manuscrit est entièrement détruit. Elle le reconstitue. Elle écrit ensuite, après « l'épilogue » de son livre, un long poème qu'elle livre ici. Brûlant d'amour pour les autres, elle s'appelle elle-même : « L'incendiée. »

À cette auteure incandescente, je voudrais ici rappeler la phrase de Jean Cocteau, dans ses Entretiens avec André Fraigneau, à la question : « S'il y avait le feu chez vous, qu'est-ce que vous emporteriez ? »

Et Jean Cocteau de répondre : « J'emporterais le feu. »


Bertrand du Chambon


Sandrine Willems, Carnets de l'autre amour, éditions Les Impressions nouvelles, 202 pages. 17 €


> Lire l'interview de Sandrine Willems par Bertrand du Chambon.

1 commentaire

J'ai lu il y a quelques années le très beau Éros en son absence  de Sandrine Willems

Il faudra que je  le chronique, c'est un superbe texte érotique