Vincent Laisney dédiabolise Sept Génies de la littérature

Si, comme lui, vous avez lamentablement séché devant l'Iliade ou La Divine Comédie voire Faust ou encore Ulysse, il ne faut en rien y porter un jugement définitif. C'est comme tout, on tombe de cheval, on remonte aussitôt en selle ; et voici donc le livre idoine. Il vous aidera à remettre l'œuvre dans son contexte pour mieux savoir comment l'appréhender et surtout y puiser tout le suc du divin plaisir qu'il y a à sa lecture. Pour cela, ce brillant essai vous aidera à rallumer la flamme de la curiosité et à (re)venir voir de plus près ce qui fait que ces auteurs sont bien des génies de la littérature. Et tenter de faire mentir Kundera, tout le moins de travailler à renverser la tendance : "L'Europe n'a pas réussi à penser sa littérature comme une unité historique et je ne cesserai de répéter que c'est là son irréparable échec intellectuel."

 

Homère – Comment pénétrer dans les arcanes de son œuvre sans se noyer ? Tout d’abord se rappeler qu'il y a près de trois mille ans qui nous séparent : à cette époque on ne lit pas tranquillement chez soi, mais l'on écoute des chants accompagnés de musique, récités en public pendant des fêtes. L'auteur de ces épopées n'est donc pas un écrivain au sens où nous l'entendons mais un aède, une sorte de barde qui improvise, cithare à la main. Son texte est à prendre avec rythme et légèreté, tonalité et curiosité, sans apriori et il vous bercera alors de sa mélopée…

Dante – Trop connu pour sa seule Comédie, laquelle est perçue comme un monstre (14 229 vers) qui aura creusé l'impossible fossé culturel qui nous sépare de ce livre au point que sa lecture en deviendrait impossible (sauf à être un érudit capable de concentrer les connaissances d'un historien, d'un théologien et d'un linguiste). Faux ! Péguy compare d'ailleurs sa lecture à un périple touristique. Dante, auteur et personnage principal de cette histoire, accompagne son guide qui le plonge en Enfer, lui offre une remontée au Purgatoire et le propulse vers l'Empyrée. Avec tous les renseignements récoltés lors de ces trois étapes, le lecteur en ressort épuisé, certes, mais aussi purifié et transfiguré.

Cervantès – L'inventeur de don Quichotte donne à son personnage le passeport intemporel qui l'associera pour toujours à celui qui se bat contre des moulins à vents, celui qui prend ses désirs pour des réalités. Mais surtout, Cervantès ouvre le premier la voie : il installe les bases du genre romanesque trois cents ans avant Balzac, Flaubert et Tolstoï. Il fonde le roman moderne tel que nous le concevons aujourd'hui. Et il manie un humour décapant !

Shakespeare – Il n'est pas seulement l'écrivain le plus joué au monde, mais aussi le plus commenté. Qui est-il vraiment ? Est-ce bien lui qui a écrit le magistral Folio de 910 pages où sont rassemblées ses trente-six pièces, lui l'individu de basse extraction (fils de gantier), provincial (Stratford) et peu cultivé (pas d'études universitaires) ? Ou doit-on y associer Francis Bacon, Robert Greene ou encore le conte d'Oxford ?

Goethe – Un pied dans le siècle des Lumières, l'autre dans celui du Romantisme, Goethe domine l'Europe de 1770 à 1830 : une suprématie littéraire qui n'a aucune comparaison ! Et bien avant le Faust, ce sont Les souffrances du jeune Werther qui provoquera un tremblement de terre dans les esprits de l'époque. Comme quoi, un bref roman sentimental d'une centaine de pages qui se conclut par un suicide spectaculaire peut marquer les esprits...

Hugo – Qui, de nos jours, a lu Victor Hugo ? Personne, ou presque. Tout le monde le connaît grâce à des noms de collèges, de bibliothèques, de places, de rues, voire des comédies musicales vulgaires ou des films simplistes ; et la question d'Aragon s'alarmant, en 1952, n'est même plus d'actualité, car les textes d'Hugo ont bien cessé de nous habiter. Or, l'œuvre est à l'image de l'homme : excessive, multiforme, irréductible, inclassable.

Joyce – Le scandaleux irlandais dont son Ulysse est très vite devenu un sujet de discorde, illisible pour la plupart, génial pour quelques uns qui se firent taxer de snobs, mais, en 1922, ce sont bien Valery Larbaud et T.S. Eliot qui avaient raison tant la plongée dans ce monstre littéraire offre mille et un plaisirs de lecture.

 

Vincent Laisney vous donne les clés pour retourner vers les grands classiques. Son livre, qui comporte de nombreuses illustrations et d'abondantes citations en langue originale suivies d'une traduction, vous permettra de visiter les sept piliers de la littérature de tous les temps, soyons modestes (sic). Tout agrégé de lettres modernes et docteur es lettres, Laisney n'en écrit pas moins d'une manière simple et vous apportera donc ce petit plus qui manque tant dès lors que l'on aborde l'Everest littéraire.

Par cet essai, nul doute que le lecteur sera réconcilié avec les textes canoniques de notre culture, et gageons qu'il incitera les nouvelles générations à délaisser pour un temps leur tablette pour se plonger dans une féérie de papier qui, par son existence même, demeurera pour les siècles des siècles, ce socle inébranlable de notre culture, de nos valeurs, de notre histoire, sans quoi nous ne nous sentirions point européen. 

 

François Xavier

 

Vincent Laisney, Sept Génies – Voyage au centre de la littérature, Les Impressions nouvelles, septembre 2014, 384 p. – 22,00 euros

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