" Dans ce monde, il faut être un peu trop bon pour l'être assez. " (Marivaux)

Pour l'œuvre de Jimmy Beaulieu, fameux auteur de BD (?) canadien, voire québécois, il faudrait inventer un terme nouveau : la B.É. - la Bande Écrite, et non pas seulement dessinée. Car, faut-il vous l'avouer, Jimmy Beaulieu dessine peu ; une case à elle seule va rassembler deux tiers de texte écrit en script et un tiers de dessin, petit crobard perdu dessous le texte, ou assis dessus, ou foutu de traviole.

On l'aura deviné, Beaulieu est un bavard, un écrivassier, le genre de gars qui ne peut pas s'empêcher d'étaler son moi, son ego, son je, tout le toutim à longueur de page, et que je m'auto-analyse, et que je m'inquiète, et que je me gourmande et me vitupère. Ah ! Se vitupérer, quel bonheur !


Que l'on n'attende pas de moi que je me mette ici à assassiner ce bon auteur, à le traîner dans la boue d'une critique infecte ; ici, je ne me veux que chroniqueur et je chronique des livres ; quant à lui, il chronique sa vie. Il raconte tout, presque tout : sa compagne, ses sorties, les CD qu'il met dans son lecteur en voiture, son break antique aux flancs recouverts de bois (ça s'appelait un woody, autrefois), ses amis, ses fiestas, son complexe de ne pas se vivre en tant que « party animal », et les râteaux qu'il s'est pris à force de se considérer comme un brave petit homme auto-castré.

Nous qui l'avons déjà lu et regardé, en premier pour ses délicates histoires de jolies filles qui se broutent le minou et utilisent un chapelet anal, nous comprenons très vite pourquoi il aime tant les lesbiennes (comme nombre d'entre nous les mâles) : il a peur des autres garçons. Cela, il ne le confesse point, mais on sent que la concurrence avec les autres mecs, bien plus machos que lui, l'a durablement traumatisé : quoi de plus agréable alors que de vouloir un peu de tendresse dans un monde de brutes, et d'être un voyeur seul dans un monde de gouines ?

Et alors ? Why not ? Ses récits d'autobiografuite (c'est de moi, les gars, ça provient de ma thèse, je vous l'offre !), sa tendance à se rapprocher de soi-même, de s'apprivoiser puis de fuir, d'aller vers l'essentiel et de ne surtout pas tout découvrir de soi, comme un gars qui vers 4 heures du mat' remet douillettement les draps et la couverture sur son épaule refroidie par la nuit, tout cela finit par nous émouvoir : l'animal est faible, égocentrique, peut-être dénué de volonté (qui sait ?), mais il est bon. C'est un mec bonnard qu'on admettrait tout à fait d'avoir pour ami, afin de lui remonter le moral tous les vendredis après 23 heures.

Oui, il pourrait passer à la couleur (mais il l'a déjà fait, dans ses précédents récits dessinés) ; bien sûr, il pourrait se regarder le nombril moins souvent – mais il est l'enfant de son récit, un autobiografils (celle-ci aussi, je vous la file, les gars !) ; certes son éditeur – les exquises Impressions nouvelles à qui nous devons, tout de même, Aurelia Aurita ! – aurait dû le limiter à 250 pages et non pas à 350 ; oui, son attachée de presse en France devrait le fouetter, puisque je ne l'ai pas vu l'autre jour au Salon du Livre...

Mais comme il a su saisir au vol d'un coup de mistral dans son crayon le vent de la Gaspésie qui saccage les pages du livre que lit sa « blonde » sur la plage, page 259, on lui pardonne !


Bertrand du Chambon 


Jimmy Beaulieu, Les Aventures. Planches à la première personne, éd. Les Impressions nouvelles, 350 pp. 21 €.

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