Pierre Gatier, la gravure pour passion

En 1862, Baudelaire écrivait que l’eau-forte est un art profond et dangereux, plein de traîtrise, et qui dévoile les défauts d’un esprit aussi clairement que ses qualités. Et comme tout grand art, très compliqué sous sa simplicité apparente, il a besoin d’un long dévouement pour être mené à la perfection.
Passer d’une page à l’autre de cet ouvrage, c’est mesurer à quel point Pierre Gatier a fait sien ces mots si justes de l’écrivain. Dévouement et perfection, deux mots essentiels qui chez lui s’unissent en une passion sans cesse renouvelée, que ce soit dans les recherches techniques ou la diversité des thèmes. Car il faut en effet ajouter à ces qualités l'esprit d’innovation.
La présentation de l’exposition du Musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq couvre trois périodes, illustrant les trois techniques principales auxquelles Pierre Gatier a voué sa vie, les eaux fortes et aquatintes en couleurs pendant une quinzaine d'années, les linoléums de 1915 à 1918, avec une dominante en noir et blanc et un trait plus accusé, puis les pointes sèches et les burins gravés, très graphiques, pendant environ dix ans.

 

Formé à l’École des Beaux-arts de Toulon, puis à l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris, il est le témoin des épisodes historiques qui accompagnent son existence, de la Belle Époque où l’élégance est pour beaucoup une espèce d’obligation sociale, avec une mode qui se doit d’être audacieuse en restant chic à la Seconde guerre mondiale.
Il traversa la Première en servant notamment dans la marine, un secteur qu’il connaît bien puisqu’étant né à Toulon et issu d’une famille de marins, il a été nommé en 1907 peintre de la Marine. Il deviendra officier de camouflage, tant son savoir en la matière est reconnu. Son intérêt pour les bateaux se manifeste aussi bien dans les mouvements impressionnants de la mer qui semble emporter Le Clipper et la vague (pointe sèche et burin de 1930), tout en nuances de noir et de gris, que dans cette excursion familiale au cœur de Londres, où le regard est invité à naviguer sur le pont d’un bâtiment qui remonte les eaux de la Tamise et passe sous Tower Bridge (eau-forte et aquatinte en couleurs de 1911).

 

Mais Pierre Gatier est d’abord le portraitiste de la société qu’il côtoie et entend la rendre dans toutes ses activités, notamment mondaines et souvent nocturnes (Le Boulevard de la Madeleine, Le Monde de la noce, Le Royal, rue Pigalle à Paris, eaux fortes et aquatintes en couleurs), dans l’insouciance d’une classe qui bien que ce soit le début de la guerre, sort, s’amuse, se donne rendez-vous aux courses de Longchamp et de Chantilly, toutes petites scènes vivantes bruissant de conversations.
Les femmes élégantes, à la silhouette longiligne prise dans des longues robes sous des capelines emplumées, constituent une longue galerie témoignant des modes parisiennes, compositions guidées par son seul plaisir esthétique dont l’acuité rend bien compte du talent extrême de leur auteur et de sa manière à la fois ironique et sensible de traiter l’ambiance des salons, cet univers qui tourne autour du célèbre couturier Jacques Doucet, dont la boutique était rue de la Paix et qui devint le mécène du peintre.
On retrouve ici un autre artiste qui rendit également à la perfection cette vie moderne dont parla Baudelaire, Constantin Guys.

À côté de la gravure dont il maîtrise tous les secrets, Pierre Gatier travaille aussi avec l’aquarelle et l’huile, montrant le même savoir des couleurs, une identique autorité dans le cadrage et les effets. Dans sa carrière, outre celle de la guerre, il y a aussi la parenthèse de sa pratique de la linogravure, qui implique un maniement expert de la gouge. Il s’en explique : Le procédé du linoléum me permet pour un prix modique de faire une édition amusante.

Au total, 130 œuvres venues de diverses collections. De quoi entrer dans ce vaste héritage de celui qui a été l’imagier de son temps, un artiste soucieux des détails, libre et attentif aux évolutions du monde, aussi à l’aise à la ville qu’à la campagne. Cet ouvrage auquel ont collaboré plusieurs spécialistes accompagne l’exposition à L’Isle-Adam.
 

Dominique Vergnon
 

Sous la direction de Caroline Oliveira, Pierre Gatier 1878-1944 - De l'élégance parisienne aux rives de l'Oise, 210 x 270, nombreuses illustrations, Liénart / INHA / Musée Louis Senlecq, avril 2021, 180 p.-, 25 euros

Renseignements : www.ville-isle-adam.fr/musee

Aucun commentaire pour ce contenu.