Echapper de Lionel Duroy : Récit d’un livre en train de s’écrire

"Échapper", dit-il, mais échapper à quoi ? De Lionel Duroy, on sait le courage et l’obstination à panser encore et encore des plaies familiales vieilles de 25 ans, à raconter toujours le tragique d’un père qui fit dégringoler socialement la famille, et l’exclusion dont l’écrivain a été l’objet par ses frères lors de la parution de son premier roman.

 

Ici, Augustin, le double fidèle de l’auteur, veut s’éloigner de sa maison du Mont Pertus, en Provence pour Husum, ville côtière du nord de l’Allemagne proche du Danemark et son climat froid, recréer le voyage qu’il fit avec Esther, la thérapeute dont il fut si amoureux dans Vertiges. Il aimerait également donner une suite au roman de Siegfried Lenz, La Leçon d’allemand, sur le peintre expressionniste Emil Nolde, ami de Goebbels et accusé par les nazis d’être un dégénéré. Ah la toute-puissance de l’écrivain qui pense ainsi influer sur une œuvre autre que la sienne, s’en emparer et la tordre à son gré…

 

Dans ces terres grises où la mer se bat contre les hommes, ce pays dont il ne connaît pas la langue, Augustin va surtout retrouver ses propres souvenirs, ceux d’Esther et de sa famille, puis rencontrer Suzanne, une jeune femme mariée dont il tombe amoureux lorsqu’elle lui traduit les lettres du peintre. Cela donne des pages superbes et désespérées sur l’amour, le sentiment d’exaltation et d’effroi que cela implique, l’incapacité d’écrire un nouveau chapitre de sa vie ou même de tourner une nouvelle page, sur la littérature enfin qui sauve les êtres. Aimer Suzanne, c’est difficile quand on voudrait "se souvenir de ne jamais lier son destin à qui que ce soit". 

 

Un roman où l’auteur aère encore son chagrin, qui s’inscrit et reste dans nos têtes bien après le livre terminé. L’œuvre de Duroy  est comme un refrain entêtant dont on ne voudrait jamais se défaire.

 

Ariane Bois

 

Lionel Duroy, Échapper, Julliard, janvier 2015, 282 pages, 18,50€ 
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