Une tendance récente de la littérature nord-américaine

Une lectrice attentive me fait remarquer que plusieurs fois j’ai évoqué ici un roman écrit par une femme de l’Amérique du Nord ; que ces romans ont pour cadre une nature sauvage et luxuriante ; et que le personnage principal de chacun de ces romans est une fillette – jeune adolescente ou presque femme.

Me voici obligé de reconnaître que tout ceci est exact, sauf sur un point : la magnifique histoire de la petite Turtle qui échappe à un père criminel a été écrite par un jeune auteur, Gabriel Tallent (My absolute Darling). Tous les romans que j’ai lus récemment ont des points communs évidents : l’héroïne est une fille, qui tente d’échapper à un milieu familial désastreux – quand toutefois ce milieu existe encore ; connaissant bien son environnement, la jeune fille trouve quantité de ressources dans la nature ; cherchant à mieux connaître la faune de son coin du monde, le plus souvent perdu dans la forêt ou les marais, la petite femme en devenir se passionne pour les oiseaux (Glendy Vanderah, Là où les arbres rencontrent les étoiles), pour tous les animaux de la forêt, qui sont des totems pour certains adultes (Louise Erdrich, Celui qui veille), pour les serpents (Ruchika Tomar, Prière pour les voyageurs) ou pour les animaux marins (Delia Owens, Là où chantent les écrevisses).

Le dernier cité est également un chef-d’œuvre, et Delia Owens est désormais connue dans le monde entier. Les aventures de la jeune Kya, qui vit seule dans les marais, abandonnée de tous, échappant aux institutions et poursuivie par quelques garçons plus ou moins bienveillants, puis finalement accusée de meurtre, a eu tant de succès qu’elle est actuellement adaptée au cinéma par Reese Witherspoon.
Dans cet univers de rivages désolés, Kya est une sorte de lutin qui fuit tout autant son père – disparu très tôt – que les assistantes sociales et autres sheriffs qui souhaitent l’enfermer à l’école et lui ôter l’envie de pêcher des coquillages. Du fait qu’un garçon moins sot que les autres lui apprend à lire et à écrire, elle devient une spécialiste reconnue des bestioles marines qu’elle connaît par cœur, et finira même par écrire un livre ! L’auteure, Delia Owens, sait de quoi elle parle : elle a écrit plusieurs traités de zoologie et le présent récit est son premier roman. Injustement accusée parce que trop marginale, Kya, surnommée La Fille des marais, va devoir se trouver un défenseur et compter sur ses rares amis. Mais qui sont-ils ? Enfonçant une tige d’herbe dans une fourmilière, elle finit par demander : « Où elle est, ta mère ? » Une brise se faufila entre les arbres, agitant doucement les branches. Tate ne répondit pas.

Le brave homme de couleur, Jumping, auquel Kya vend ses coquillages et achète de l’essence pour sa barque, devient lui aussi un ami, et il voudrait la défendre : elle a été victime d’une tentative de viol et devrait porter plainte. Mais Kya le supplie de ne pas l’aider ; elle pense qu’elle sera traitée comme une chienne : Et au bout du compte, c’est cette fille qui aurait de gros ennuis. Les articles dans le journal. Des gens qui l’accuseraient de se prostituer. Eh bien, ça serait la même chose pour moi, et vous le savez bien. Kya ne porte pas plainte, et son ami Jumping promet de ne pas envenimer les choses. Mais parviendra-t-elle à échapper aux accusations, et donc à la peine de mort ?

Partant de la description d’une nature superbe, encore peu dévastée par l’homme, le récit s’égare un peu entre tribunal et cellule, mais va se clore avec un retournement surprenant. Nous préférerons peut-être relire le début : Les bosquets de palmiers nains étaient inhabituellement silencieux mis à part le lent battement des ailes du héron qui s’envolait de la lagune. Et l’on peut tout autant admirer ce portrait d’une gamine qui fait tout pour être libre et fuit à toute force un destin tout tracé.

Bertrand du Chambon

Delia Owens, Là où chantent les écrevisses, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville , coll. Grands Romans, Points, mai 2021, 461 p.-, 8,50 €
Première édition, janvier 2020

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