Dans l'éclair d'une truite de Lucienne Desnoues

Viennent de me parvenir, comme par pur hasard ensemble, deux recueils de Lucienne Desnoues – 1921- 2004 –, poète dont j'ai déjà, ici même, entretenu le lecteur à plusieurs reprises.
Il s'agit – respectivement parus en 84 et 90, tous deux chez l'ami Gérard Oberlé, au Manoir de Pron – de Quatrains pour crier avec les hiboux et Dans l'éclair d'une truite.

Ces deux recueils marquant – quoi que n’en laisse rien soupçonner leur titre respectif – le passage d'une toujours aussi somptueuse écriture vers davantage de questionnement intérieur, plus frontalement métaphysique. Cela, à un palier crucial de la vie de l’auteur.

Ainsi, il est vrai qu’avec le recul Quatrains pour crier avec les hiboux apparaît avoir été prémonitoire, signe alors avant-coureur, annonciateur, de Dans l'éclair d'une truite en lequel Lucienne a - selon ses propres mots inscrits en dédicace à l'intention d'une de ses connaissances fervente de poésie – tenté de faire apercevoir la profondeur d'un grand deuil ; celui-là même en lequel, en avril 86, sa propre vie soudain bascule.

Ce muezzin plumeux, de sa voix qui défaille,
Recommande : "N'oubliez pas
Qu'autour du monde, à tout instant, sans une faille,
On passe de vie à trépas."

C'est, en effet, à peine deux ans après la parution de ces Quatrains que le malheur tout à coup rapplique et frappe à la porte : grand poète lui aussi, Jean Mogin, son amour chéri et mari adoré, fils de Norge, décède à 65 ans à peine, au printemps 86.

Ne pouvant l'éclairer, qu'un poème décore
D'un peu d'or le nour absolu,
Le gouffre entre l'instant où tu étais encore
Et l'instant où tu ne fus plus.


Écorchée vive, douloureuse au plus haut point, l’âme accablée, plume en berne, il ne fallut pas moins de quatre années à Lucienne pour retrouver le fil et le souffle de l'inspiration, se remettre peu à peu à écrire : période de terrible stupéfaction doublée d'intense incubation au débouché de laquelle finit par jaillir du plus profond d’elle-même ce grave et vaste poème continu qu’elle intitule Dans l'éclair d'une truite, où, méditant la mort dans la mémoire de celle de son très cher époux, elle trouve enfin quelque réconfort par-delà le tragique.

Poème-exorcisme et tour de force réussi, ce poème-là est son chef-d’œuvre dont elle dira d’ailleurs, lucide en plein : Oui, il a fallu, par le décès de Jean, que mon moi vienne à être écrasé et réduit en poudre comme un grain de poivre par le moulin pour que mon âme vive de poète livre et exhale enfin tout son parfum.
 

André Lombard

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