Me souvenant de Lucienne Desnoues

Biplace malgré son nom, au temps des années folles, le Trèfle de chez Citroën était une mini à la mode. Lui plus intemporel, le trèfle à quatre porte bonheur, dit-on.
Ce à quoi, depuis toujours proche de la nature, Lucienne volontiers aimait croire pour le plaisir léger et la curiosité d'y partir parfois un moment, de temps à autre, à une chasse minutieuse autant que simple jeu récréatif quelque part assez enfantin pour ne pas du tout, non plus, lui déplaire.

Mais ne voilà-t-il pas qu'après le décès prématuré de son Jean adoré, à soixante-cinq ans, endeuillée profond, jusqu'à l'âme, elle avait alors installé chez elle, parmi les innombrables plantes vivant sous son toit – et l'y faisant voisiner dans sa véranda avec une adorable tête d'ange en pierre au nez refait pour cause d'accident –, un caillou blond taillé en pièce de savon de Marseille, sur l'une des faces duquel elle avait inscrit de sa main et à l'encre de Chine – calligraphié plutôt, de sa belle, souple et toujours aussi généreuse écriture – une pensée peut-être bien, au fond, inspirée de chez Hölderlin : Porter bonheur est si lourd à porter
Cela, sans y adjoindre de point ordinaire, encore moins d'exclamation, pas plus que les trois de suspension...
Je n'ai évidemment jamais interrogé Lucienne sur cette absence de ponctuation, ni au sujet de ce décasyllabe déjà assez évidemment lourd de sens par lui-même, exprimant en effet, de sa part, une sorte de pesante constatation en forme de devise personnelle choisie et ainsi rédigée en fonction.

N'empêche, finalement parvenue – par un persévérant courage allié à un puissant travail sur elle-même –, sinon à dominer sa peine, du moins à la faire quelque peu s'atténuer et s'éteindre toujours un peu plus, davantage ; un beau jour, soudainement enfin réaccordée au monde des vivants par les seuls mérites d'un pourtant simplissime repas convivial, nous y eûmes toutes et tous, autant que nous étions de convives, l'heureuse bonne surprise de l'entendre de nouveau rire de bon cœur spontanément, comme si ce fût à l'instant – depuis le temps ! – pour la toute première fois qu'on la connût vraiment aussi joyeuse !
À la suite de quoi – toujours escortée de l'affection des siens et d’amitiés ferventes – elle reconnut et prit même assez vite, avec entrain, le chemin de ses activités restées favorites : décorer, cuisiner, jardiner, rafistoler, coudre, s'extasier, et – diable, quel miracle ! – jusqu'à se remettre chaque matin en selle sur son très personnel Pégase enfin tout à fait réapprivoisé au bout de quatre longues années de mutisme complet en tant que poète.

Dès lors, son grave Dans l'éclair d'une truite précéda d'un an ou deux ses Fantaisies autour du trèfle et, à leur suite, encore trois ou quatre autres recueils prirent rang.

André Lombard

Lucienne Desnoues, Fantaisies autour du trèfle, Les Cahiers de Garlaban, novembre 1992

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