Le roi de la fête par Lucienne Desnoues

Écrire des contes en bonne et due forme ! Je ne sais, dites-moi, quel écrivain s'y risque encore de nos jours ?
Mais, poète classique dans l'âme lié au sacré sous toutes ses formes, Lucienne Desnoues – 1921-2004 – aimait pratiquer avec ferveur et exigence ceux – on en conviendra, très particuliers – dans le genre de l'esprit de Noël ; excellents, son Pégase y faisant feu, à tous les coups, des quatre fers !

Chaque fin d'année, le besoin si fort d'en écrire au moins un ou deux finit par vite pouvoir lui en faire choisir et rassembler une première douzaine de tout premier ordre, en 1980, chez son ami éditeur Jacques Antoine qui en présente alors ainsi le recueil superbement intitulé L'orgue sauvage et autres contes de Noël : La technique a beau chercher à supplanter la poésie, nous avons besoin d'un merveilleux moins affolant, plus chaud, plus sacré que celui de la science-fiction et de l'anticipation.

Lucienne Desnoues, le poète de La fraîche, Les Ors, La plume d'oie, qui a su transfigurer en prose dans un livre à grand succès (Toute la pomme de terre) le plus matériel des sujets, s'est plu aussi à réveiller, à renouveler un genre littéraire lié au familier comme au liturgique : le conte Noël.

Hautes en couleur, en saveur, en musique, ces douze histoires font le lecteur se délecter d'un style, d'une imagination par lesquels il se sent passer sans heurt, avec délice, et comme naturellement, du naturel dans le surnaturel.

Puis, suite au décès prématuré de l'ami Jacques, un grand nombre de ces contes sont hélas restés inédits ; certains d'entre eux ayant cependant pu paraître du vivant de l'auteur, par-ci par-là en revue, comme il se doit, au moment de Noël. Tel Le roi de la fête qui, fidèlement inspiré de haute époque – celui-là en rien merveilleux, mais aussi court qu'efficace –, est pourtant bien tout à fait et de toute évidence hélas encore, par son tragique, en plein de la nôtre.

                                                          LE ROI DE LA FÊTE

Ce soir, au lieu-dit Pont-Saint-Our, l’auberge rayonne. La rivière fonce noire entre deux festons de glace fragilisée par la rage du courant. Les forêts proches sont en fer forgé. Les buissons que les bonnes saisons assaillirent de clématite sauvage se courbent en pénitents sous des cagoules de liane et de freluche morte. Mais l’auberge a l’air heureuse. De longues voitures alignées sur son terre-plein commencent à se vêtir d’une très mince neige. Vu du hall d’accueil, le vestiaire semble une étable parfumée où soupirent des visons, où des opossums et des chinchillas s’entre-étouffent avec douceur. De la salle-à-manger parvient une rumeur assortie à la discrétion des éclairages. L’anniversaire du Christ se célèbre aux chandelles. Les cardinaux viennent des mers et rougeoient à toutes les tables. L’œil glauque de mille huîtres non perlières et cependant fine de race s’émerveille des colliers et des pendentifs qui luisent doux un peu partout. Argenterie et porcelaines ne se heurtent qu’avec exquisité. C’est beau que l’on honore le jeune Dieu du Ciel dans ces scintillements et ces chocs délicats comme d’étoiles qui s’entrevêcheraient !

La porte d’entrée, plus capitonnée que celle des églises, vient de livrer passage, dans un bref mais impérieux papillotement de flocons, à un couple timide.

Lui, grison, porte une barbe en copeaux. Elle, ce qu’elle tient dans le ramas de son chétif manteau, ce doit être un nouveau-né. Elle est d’une beauté tellement vive que le maître d’hôtel en reste une seconde aveuglé. Mais le plongeon que cet aigle amorçait sur les colombes fourvoyées ne s’en poursuit pas moins : un coup d’aile, ou plutôt un petit « clic » entre majeur et pouce, et les domestiques de l’accueil courtoisement implacables refoulent vers le froid ces personnes déplacées.

Le roi de la fête n’a pas été admis.

                                                                                                                 Lucienne Desnoues

Articles connexes : Noël des Nourritures célestes

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.