Desnoues-La Fontaine, douze fables consanguines

 

Je chante les héros dont Ésope est le père, troupe de qui l’histoire, encore que mensongère, contient des vérités qui servent de leçons.
                                                                                                                 Jean de La Fontaine

Assortissant chacune de nombreux grains de sel congruents et sous des aspects – à première vue seulement – iconoclastes, la réécriture de cette douzaine de fables de La Fontaine sur le mode humoristique est en vérité un authentique hommage, aussi taquin qu’indiscipliné, certes, auquel de son côté le fabuleux célèbre moraliste, à chaque fois, se prête bien au jeu !

Auteur au lectorat longtemps scolaire quasi uniquement, La Fontaine est ici d’évidence pour Lucienne Desnoues, poète des célébrations, graves autant que chaleureuses, mystiques aussi à sa façon, un excellent prétexte à fructueuse récréation en son œuvre propre : spirituel divertissement où elle ne boude cependant pas, en rien, son tout naturel, puissant et maîtrisé, plaisir d’écrire toujours pour de vrai, au mieux, pour de bon ; donnant ici sa juste place à l’évident plaisir d’amuser en retournant ou détournant rôles et dialogues vers une autre morale, en pied de nez.

A-t-on déjà, je ne crois pas, écrit et décrit de si magistrale manière pareilles sortes de carnavalesques saynètes en vers rimés où, à partir d’un autre poète efficient, personnages comme situations muent ou s’inversent, jusque cul par dessus tête parfois, dans la bonne humeur, l’étonnement, et – c’est bien sûr à chaque fois le but – la morale avec, d’un seul mais bien retentissant coup de cymbales final ?

Le tout dans une forme d’écriture réputée trop rigide aujourd’hui – pour ne pas dire désuète –, qui ne l'est en rien en tout cas pour Lucienne qui a par ailleurs édifié une œuvre admirable de sensibilité selon les règles de la syntaxe, les canons de la prosodie et les lois d'un art poétique justement des plus stricts qui soient en le domaine !
Une telle triple emprise n'étant absolument pas pour elle un carcan, ni même, à aucun moment, la moindre entrave à son imaginaire qui, au contraire, fructifie en talent sous cette forme d'ascèse lui convenant foncièrement : moyen par lequel, n’en laissant rien perdre, elle trouve à épanouir sa liberté d'expression et, de là, à atteindre à sa plénitude d’écrivain. Du parfait grand art, quoi !

En faisant spontanément don, jadis, à un de ses amis instituteur pour qu’il les lise à l’occasion à ses élèves – ce qui fut fait ! –, il est vraiment heureux que ces fables consanguines avec celles-là du XVIIe peut-être encore au programme soient aujourd’hui rassemblées en un précieux recueil si bien malicieusement illustré.
Recueil qui, de surcroît, paraît être ainsi, par lui-même, une forme d’exorcisme réussi à l’encontre de la mauvaise fortune éditoriale dont – depuis la parution de son Anthologie personnelle chez Actes Sud en 1998 jusque-là, en 2022, dix-huit années donc après son décès –, Lucienne a été la bien trop injuste victime.

Aussi, souhaitons donc maintenant très fort que le vent finisse par tourner complètement en faveur de ce grand poète encore en grande partie à découvrir, et que bientôt donc, ici ou là, paraissent enfin – merveille ! – les œuvres complètes de Lucienne Desnoues accompagnées de tous les soins et les honneurs dus à cet impeccable, fécond et fertile travail de toute une vie si passionnément vécue chaque jour debout en poésie.
 

André Lombard

Lucienne Desnoues, Les Fables d’Étalon Naïf, illustrations de Frédérique Haüy, Les éditions du jais, février 2022, 50 p.-,12 €

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