Lydie Calloud : de l'œil au regard

La dimension du manque essentiel est au cœur de la polarité œil/regard. Elle alimente le questionnement de Lydie Calloud dont ce livre fait une sorte de synthèse. Lacan de manière théorique et des peintres comme Hundertwasser ou Klee ont placé ce problème au centre de leur travail.
Dans la plus célèbre œuvre de ce dernier, Mine grave (1939), au fond d'un espace nocturne soutenu par un hauban qui redessine les initiales P et K du peintre, s'érige un masque d'or sorte de pavillon de l'angoisse d'où surgissent deux ouvertures oculaires d'une intensité anthracite.
Mais s'échappant à la mélancolie transcendantale, ce que Lydie Calloud exprime semble de nature à traverser la vision du spectateur jusqu'à atteindre un arrière-œil, un au-delà non désignable mais pourtant qu'elle appréhende et qui pourrait être le royaume du dedans.
Le thème de l'œil solitaire répond aux effets de pans qui se retrouvent ailleurs dans son œuvre. La créatrice cherche en général à provoquer un état de communication empathique tout en instituant un pas au-delà afin de montrer ce qui échappe normalement au regard : la face interne d'une transformation des éléments vitaux et qui se retrouve dans son livre avec de fortes connotations organiques emboîtées.
Suite à des recherches précédentes sur la visualisation et ses perturbations quasi atmosphériques, et à la révélation romantique plus ou moins féerique de l'art succède ici et en conséquence le désir de rapatrier l'œil dans le regard et la chose dans l'objet peint pour témoigner d'une sur-vie.
En conséquence la circulation organique de la vision, par delà toute spéculation sur le mal ou la mort, réassure l'homme comme si un troisième œil lui étaient donné – à la manière de ce que proposent certaines cosmogonies asiatiques – afin qu'il se retrouve en lui-même à travers la peinture.
Jean-Paul Gavard-Perret
Lydia Calloud, génération B dans génération A, livre objet en acier, image lenticulaire, papier carton ajouré, 40 exemplaires,réalisé pour l'Institut de la Vision à Paris avec le soutien de la Fondation Edmond de Rothschild, galerie l'Antichambre, Chambéry, 10 mars 2021
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