Écrits de résistance : Mahmoud Darwich choisit Sophocle
Toute sa vie Darwich n’a eu de cesse de s’interroger, et de nous imposer ce questionnement sur le (non) devenir de la Palestine, sur cette pensée détournée qui niait des millénaires d’histoire sous d’obscurs prétextes occidentaux exportés sur une terre trois fois saintes pour la livrer corps et âmes à ses bourreaux… Alors il fut décrié, enfermé dans un carcan simpliste afin de tenter de le museler mais l’on ne fait pas taire un poète…
Toujours il remit sur l’ouvrage sa détermination, sa passion, son amour et le couvercle finit enfin par se dérober et déborda alors l’un des derniers mensonges que l’humanité s’était fait à elle-même : une terre sans peuple pour un peuple sans terre. Le sionisme était démasqué, sa mort annoncée et avec elle le renouveau d’un humanisme bafoué.
Mais pour en arriver là, que de morts, de terreur, de malheur disséminés aux quatre coins du globe, les descendants de la Shoah se transformant en assassins pour empêcher la parole palestinienne de se répandre. Heureusement un ange gardien veillait sur Mahmoud Darwich qui put ainsi continuer à écrire et à réciter ses poèmes pour dénoncer l’impossible sort fait à son peuple, à sa culture, à son histoire…
Pourquoi as-tu trouvé une seule femme
qui peigne tes cheveux ce matin,
pour que tu t’accommodes de la fatigue païenne
et qu’ils ne t’assassinent pas,
lorsque tu passes
sans gardes ni langue ?
Pourquoi n’as-tu trouvé une seule femme
qui prolonge le matin sur le pont ?
Ils pourraient se lasser d’attendre,
aller se promener au parc de Vincennes,
avoir honte de tes mots à cette femme,
sur un départ inutile.
Des écrits souvent politisés, parfois mal compris,
détournés par des traducteurs malhonnêtes (voir l’Affaire du poème), des poèmes
qui recouvrent ici leur juste place, leur digne valeur dans une œuvre qui
englobe toute la singularité palestinienne.
Recueillis parmi les écrits compris entre 1977 et 1992, rédigés à Beyrouth, Tunis ou Paris, dans une période trouble au cours de laquelle aucune trêve ne fut respectée, les combats toujours plus meurtriers, et pourtant, subsiste au cœur de la poésie de Darwich cette extraordinaire volonté d’apaisement, de paix et de possible existence conjointe sur une terre qui n’est pas vouée à n’être foulée que par un seul peuple.
Nous n’étions pas coupables d’être nés là
ni coupables… si tant d’envahisseurs
se sont, là, levés contre nous,
qui aimaient nos louanges du vin, nos légendes
et l’argenté de nos oliviers.
Nous n’étions pas coupables si les vierges
de Canaan ont suspendu leurs sarouals
aux têtes des bouquetins
pour que mûrissent les figues sauvages
et grandissent les prunes des plaines
ni coupables… si d’autres conteurs
se sont emparés de notre alphabet
pour décrire notre terre,
tout comme nous, tout comme nous.
François Xavier
Mahmoud Darwich, Nous choisirons Sophocle – et autres poèmes,
traduit de l'arabe (Palestine) par Elias Sanbar, Actes Sud, mai 2011, 97 p. - 18,00 euros
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